Lentilles gravitationnelles : observer des galaxies lointaines grâce à ces véritables télescopes cosmiques

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Les amas de galaxies massifs peuvent être utilisés comme des lentilles gravitationnelles (ou télescopes gravitationnels) afin d’observer des galaxies lointaines. En effet, l’étude des galaxies les plus lointaines est un domaine de l’astrophysique en plein essor ! Ces galaxies formées dans les toutes premières époques de l’histoire de l’univers nous renseignent à la fois sur les mécanismes de leur formation, mais également sur les conditions physiques régnant dans l’espace à ce moment-là.

De toutes les informations qui parviennent à la Terre, la lumière est l’une des plus étudiées : les rayonnements électromagnétiques sont enregistrés à l’aide de milliers de télescopes (au sol ou embarqués). Analysée, la lumière nous renseigne sur la genèse des étoiles, des galaxies et autres objets de l’univers. Pourtant, dans un milieu hétérogène, la lumière ne se propage pas en ligne droite, ce qui fait que la vision que nous avons de l’univers est en réalité déformée !

Si la lumière est peu déviée, de sorte que la position des astres dans le ciel indique leur position réelle, certaines configurations engendrent de fortes déformations. Comment verrait-on alors une galaxie spirale si une masse importante se trouvait entre nous et elle ? Les rayons lumineux émis par la galaxie sont d’autant plus déviés que l’objet interposé est massif. L’observateur voit alors des images de la galaxie dans le prolongement des rayons lumineux qui l’atteignent, et non dans la direction réelle de la galaxie.

Une invitation à rêver, prête à être portée.
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Principe de la déviation des rayons lumineux. Il est important de remarquer que la déviation n’est pas similaire du tout à celle d’une lentille optique ! Crédits : Wikipédia

Qu’est-ce que l’effet de lentille gravitationnelle ?

D’après la théorie de la relativité générale, une distribution de masse dévie les rayons lumineux qui passent à proximité. Dans le cas d’une étoile, les effets restent limités car la masse en jeu est relativement faible. Mais les effets peuvent devenir importants et visibles si la masse qui perturbe la lumière est très grande, par exemple dans le cas d’une galaxie ou d’un amas de galaxies !

Les astronomes font appel à cet effet pour étudier les galaxies les plus distantes, qui nous renseignent sur les conditions régnant quand l’univers avait moins d’un milliard d’années, mais celles-ci restent très difficiles à détecter. Il faut savoir que l’élément essentiel pour interpréter correctement les observations est le « facteur d’amplification » du à la présence, sur le trajet de la lumière, de ces amas de galaxies qui vont jouer le rôle de lentilles gravitationnelles. On en connaît actuellement plusieurs dizaines, pour lesquels on construit des modèles de masse expliquant la déviation des rayons lumineux et qui servent à l’étude des galaxies lointaines.

Imaginons qu’une galaxie proche et un quasar lointain se trouvent par hasard alignés sur une même ligne de visée dans la même direction du ciel. La lumière qui nous provient alors du quasar est fortement déviée lors de son passage près de la galaxie. Ainsi, les rayons lumineux du quasar qui passent légèrement au-dessus de la galaxie sont déviés vers le bas et donnent lieu à une image du quasar décalée vers le haut. Par contre, les rayons lumineux qui passent sous la galaxie sont déviés vers le haut et donnent naissance à une image du quasar décalée vers le bas.

De cette manière, la galaxie proche, en perturbant la propagation de la lumière du quasar, donne naissance à plusieurs images de celui-ci. Le nombre total d’images est déterminé par la forme de la galaxie et la précision de l’alignement. Parfois, lorsque l’alignement entre les deux corps est parfait, l’image de l’objet lointain peut prendre la forme d’un anneau lumineux entourant l’image de l’objet proche. En plus de multiplier les images du quasar, la galaxie va également concentrer ses rayons lumineux et donc produire des images plus brillantes. Un effet qui est loin d’être négligeable pour l’astronome qui essaye d’observer des corps très peu lumineux.

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Le télescope spatial Hubble a photographié un smiley cosmique : les yeux du smiley sont les galaxies SDSSCGB 8842.3 et SDSSCGB 8842.4, la bouche et le contour du visage des arcs gravitationnels qui proviennent de galaxies plus lointaines. Crédits : NASA/ESA

De vrais télescopes naturels

À cause de la distance qui nous sépare de ces galaxies, nous ne recevons qu’une infime fraction de leur rayonnement, ce qui les rend très difficile à détecter et à observer, même avec les télescopes les plus puissants actuellement en fonction.

Heureusement, les astronomes ne manquent pas de ressources ! C’est là qu’entre en jeu l’effet de lentille gravitationnelle, qui se produit lorsque la lumière d’une galaxie distante passe au voisinage d’un objet astrophysique extrêmement massif, comme un amas de galaxies. Cet effet va avoir pour conséquence d’augmenter la taille et le flux total reçu de la galaxie, un phénomène qui revient à l’ajout d’un télescope supplémentaire sur la ligne de visée. Pour cette raison, on parle assez souvent des amas de galaxies comme de « télescopes naturels ». Ce n’est que dans les années 1990 que le télescope Hubble a commencé à exploiter des amas massifs comme de vrais télescopes.

Les amas-lentilles

Afin d’interpréter correctement les observations de galaxies « lentillées » par un amas massif, il est essentiel d’avoir un facteur d’amplification, qui représente l’augmentation du flux observé pour une galaxie. Ce facteur va alors dépendre de trois éléments principaux :

  • La distribution de la masse totale de l’amas de galaxies, au travers de son potentiel gravitationnel
  • La mesure de la distance de la lentille
  • La distance de la source (généralement beaucoup plus faible)

La plus grande majorité de la masse de l’amas de galaxies est présente sous forme de matière noire (qui n’est donc pas directement détectable au travers des images des télescopes…). Pour arriver à connaître cette distribution de matière, on va se baser sur la présence d’images multiples qui se produisent au cœur de l’amas, là où la masse est la plus concentrée : la distorsion des rayons lumineux peut alors produire des mirages, là où la lumière emprunte plusieurs trajets pour aller de la source à l’observateur.

Pour aboutir à une « distribution de masse », une des méthodes consiste à construire un profil de masse faisant appel à des modèles analytiques de halos de matière noire, reproduisant simultanément la distribution de masse à grande échelle de l’amas ainsi que les structures à plus petite échelle (de la taille des halos de galaxies). Une des hypothèses simplificatrices est de considérer la distribution de matière noire à petite échelle comme étant relativement proche de la distribution de lumière des galaxies de l’amas, même si des écarts entre les deux distributions sont aussi prises en compte.

Les modèles de masse construits par cette méthode sont par la suite utilisables pour faire des prédictions sur l’amplification, la position des images multiples ou sur la distance d’une nouvelle source multiple.

Plusieurs dizaines de galaxies utilisables comme télescopes gravitationnels

On connait actuellement plusieurs dizaines d’amas de galaxies très contraints et par conséquent utilisables comme télescopes gravitationnels pour étudier les galaxies distantes ! Ce nombre a fortement augmenté ces dernières années grâce aux amas observés à l’heure actuelle par le télescope spatial Hubble (une fois de plus). Dans chacun de ces amas ont été détectés entre 50 et 100 systèmes produisant plusieurs centaines d’images multiples !

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Certains des arcs lumineux les plus faibles de cette image sont en fait des galaxies situées à un peu plus de 13 milliards d’années-lumière, déformées par l’effet de lentille gravitationnelle. Crédits : Wikipédia

Zoom sur les galaxies distantes

Un des gains les plus importants de l’amplification et qui n’a pas d’équivalent (en dehors des télescopes gravitationnels) est la capacité d’augmenter la taille angulaire des galaxies. Comme avec un microscope, cet élargissement permet d’accroître naturellement la définition des images jusqu’à atteindre la résolution typique des futurs instruments de très gros diamètre, mais avec 10 ans d’avance.

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Cette illustration montre comment une image d’une galaxie lointaine (en arrière-plan) est déformée et amplifiée par le champ gravitationnel d’une galaxie plus proche (en premier plan). Crédits : NASA, ESA et A.Feild (STScl)

La difficulté avec ce type d’observation est que l’amplification n’est jamais parfaitement identique dans toutes les directions : elle va se produire le long d’une direction privilégiée et varier d’un point à l’autre de la galaxie. Dans les cas d’amplifications les plus extrêmes, on observe des arcs géants, qui suivent la déformation au gré de la distribution locale de masse autour des galaxies avoisinantes.

Cette capacité de zoomer sur la structure des galaxies est aussi intéressante en spectroscopie notamment pour les spectro-imageurs qui permettent de mesurer le champ de vitesse du gaz dans les galaxies formant des étoiles ! Là encore, la combinaison entre le télescope gravitationnel et le spectro-imageur nous donne des détails beaucoup plus précis pour comprendre le stade d’évolution de ces galaxies, une donnée essentielle pour retracer l’histoire de leur formation.

De plus, le tout nouvel instrument MUSE (rien à voir avec le groupe de musique bien entendu) sur le Very Large Telescope a ainsi été utilisé en combinaison avec des amas de galaxies massifs pour étudier plusieurs de ces arcs géants.

Des galaxies de faible masse

L’amplification gravitationnelle permet également de repousser les limites des galaxies pouvant être détectées par nos télescopes. On peut ainsi découvrir des galaxies à des distances beaucoup plus grandes, mais également étudier les galaxies beaucoup plus faibles qui sont généralement absentes des relevés de galaxies distantes. En effet, avec ce grand décalage spectral, nous sommes limités à l’étude des galaxies plus rares et plus lumineuses, avec des masses autour de 10 à 100 milliards de masses solaires. Pourtant, ces galaxies ne sont pas représentatives de la très grande majorité des galaxies à cette distance, qui ont une masse (et donc par conséquent également une luminosité) beaucoup plus faible.

Non seulement l’étude de ces galaxies moins massives nous renseigne sur les propriétés physiques des galaxies « typiques » de la population de galaxies distantes, mais elle nous permet d’étendre l’espace des paramètres physiques et de construire des relations d’échelle entre les galaxies. En effet, plusieurs relations sont actuellement connues entre la masse des galaxies et leur taille, entre leur masse et leur taux de formation d’étoiles, ou encore entre leur masse et leurs abondances chimiques (enrichissement en éléments lourds).

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Exemple de relation d’échelle entre la masse stellaire (axe horizontal) et la formation d’étoiles (axe vertical) dans les galaxies massives. Crédits : Rodrighiero 2011

Pour le futur

Les « champs frontières » du télescope spatial Hubble ont permis des développements importants dans le domaine des télescopes gravitationnels : pour l’instant, le nombre d’amas de galaxies massifs suffisamment bien calibrés pour cette utilisation est encore limité à plusieurs dizaines… Mais on s’attend là encore à des avancées importantes avec, entre autres, l’observatoire spatial Euclid ou encore le télescope au sol LSST. On prédit ainsi la découverte de plusieurs milliers de nouveaux amas de galaxies massifs potentiellement utilisables en tant que télescopes gravitationnels.

 

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