Des chercheurs sont peut-être enfin parvenus à unifier les lois de la physique qui régissent les mouvements de particules à l’intérieur des fluides, une énigme mathématique vieille de 125 ans. Cette dernière vise notamment à répondre à une question fondamentale brouillant les frontières entre la physique et les mathématiques. Bien que les réelles implications ne soient pour le moment pas claires, la résolution de cette énigme pourrait améliorer notre compréhension des comportements complexes de l’atmosphère et des océans.
Les fluides existent à trois échelles ou dans trois domaines différents. Le premier constitue le domaine microscopique, où les particules qui les composent entrent en collision entre elles conformément aux lois du mouvement de Newton. Le second est le domaine mésoscopique, où des ensembles plus volumineux de particules interagissent selon les lois statistiques de Ludwig Boltzmann. Il s’agit d’une loi de distribution qui détermine la répartition des particules entre différents niveaux d’énergie et constitue la base de la théorie cinétique des gaz.
La troisième échelle, le domaine macroscopique, plus grande, décrit les différentes dynamiques subtiles qui régissent les fluides à cette échelle, les physiciens utilisent des outils mathématiques notoirement complexes, tels que l’équation de Navier-Stokes. Cette dernière englobe un ensemble d’équations aux dérivées partielles non linéaires décrivant le mouvement des fluides dans un milieu continu.
Dans les années 1900, le mathématicien et philosophe allemand David Hilbert a proposé une énigme mathématique visant à unifier les lois de la physique régissant les mouvements des particules à ces différentes échelles. Baptisée « sixième problème de Hilbert », l’énigme est formulée comme suit : « les lois macroscopiques régissant les fluides et les gaz peuvent-elles être rigoureusement dérivées des lois microscopiques de la mécanique des particules ? ». Ou de façon plus simple : les mouvements d’un fluide et des particules qui le composent peuvent-ils être décrits par un seul cadre mathématique ?
Les physiciens ont tenté de résoudre cette énigme et d’unifier les trois domaines d’existence au fil des décennies, mais sans obtenir de résultats réellement concluants. En effet, sa résolution se heurte à des défis mathématiques considérables liés principalement à la transition entre les différents domaines. Récemment, des chercheurs de l’Université de Chicago et de l’Université du Michigan affirment être peut-être parvenus à résoudre l’énigme.
Une équation unificatrice contournant des paradoxes temporels
L’un des principaux défis de l’unification des lois physiques régissant les mouvements des fluides est que certaines sont réversibles dans le temps, alors que d’autres non. Or, elles décrivent techniquement les mêmes dynamiques, mais seulement à différentes échelles. Les lois de Newton ne dépendent pas de la direction du temps, ce qui rend les phénomènes « avant » et « après » interchangeables. En revanche, les équations de Boltzmann introduisent une distinction entre ces deux états.
L’équipe de recherche affirme avoir travaillé pendant plus d’une décennie pour unifier les équations et contourner ce paradoxe temporel. Pour ce faire, les chercheurs ont refondu leurs calculs en s’appuyant sur les diagrammes du physicien Richard Feynman, utilisés pour résoudre des problèmes en théorie des champs quantiques. Plus précisément, ils ont utilisé ces diagrammes pour surmonter les difficultés des équations décrivant les particules interagissant à plusieurs reprises les unes avec les autres, comme cela se produit dans un fluide.
Cependant, cela posait une difficulté supplémentaire. L’équipe de mathématiciens a alors trouvé un moyen de réduire le nombre de diagrammes à prendre en compte dans les calculs. Cela leur a permis d’établir une équation claire menant des lois de Newton aux équations de Navier-Stokes.
« Nous dérivons rigoureusement les équations aux dérivés partielles (EDP) fondamentales de la mécanique des fluides, telles que les équations compressibles d’Euler et les équations incompressibles de Navier-Stokes-Fourier, à partir des systèmes de particules de sphères dures subissant des collisions élastiques », expliquent-ils dans leur document, prépublié sur la plateforme arXiv. « Ceci résout le sixième problème de Hilbert, relatif au programme de dérivation des équations des fluides à partir des lois de Newton au moyen de la théorie cinétique de Boltzmann ».
La dérivation s’effectue en deux étapes distinctes, la première consistant à appliquer la théorie cinétique pour obtenir l’équation de Boltzmann. La seconde utilise les limites hydrodynamiques pour dériver les équations familières de la mécanique des fluides (les équations compressibles d’Euler et les équations incompressibles de Navier-Stokes-Fourier). Selon les chercheurs, leur processus de dérivation résoudrait efficacement le sixième problème de Hilbert dans les limites de leur approche.
Bien que des solutions partielles au sixième problème de Hilbert aient été proposées au fil des décennies, celle avancée par cette nouvelle étude constituerait une avancée majeure, car elle correspond à la fois à la manière dont Hilbert a posé le problème et à une validation à long terme des travaux de Boltzmann. Cela suggère que cette équation pourrait améliorer la modélisation du comportement des fluides et des gaz, en offrant une base mathématique plus robuste. L’équation serait en outre particulièrement intéressante pour le domaine microscopique, notamment lorsque le comportement des particules développe des singularités.
Toutefois, les implications de la nouvelle équation ne sont pas encore claires, car elle présente certaines limites. Les techniques mathématiques utilisées sont si complexes qu’elles seraient difficilement accessibles et compliquées à vérifier pour les non-spécialistes. L’étude privilégie également la rigueur mathématique plutôt que la reproductibilité expérimentale. Sa conformité avec le comportement réel des fluides demeure donc incertaine. En outre, sa faisabilité informatique pourrait poser problème, car les équations qui la composent ne peuvent pas se traduire en nouveaux algorithmes pour des simulations pratiques.