L’expérience MiniBooNE a-t-elle détecté une trace de l’existence des neutrinos stériles ?

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Les tubes photomultiplicateurs de l'expérience MiniBooNE. | Fermilab
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La mise en évidence d’une nouvelle physique est aujourd’hui la quête moderne du Graal des physiciens. C’est particulièrement le cas des neutrinos qui, du fait des nombreuses questions se posant encore à leur sujet, constituent un domaine de recherche actif en physique des particules. Il y a quelques jours, l’expérience MiniBooNE a confirmé une ancienne anomalie concernant les neutrinos, qui pourrait signer l’existence des neutrinos stériles.

De 1993 à 1998, le Liquid Scintillator Neutrino Detector (LSND) est installé au Laboratoire National de Los Alamos, et a pour double objectif de mesurer le nombre de neutrinos produits par une source à neutrinos et de mettre en évidence le mécanisme d’oscillation de ces particules. Les résultats obtenus se révèlent alors incompatibles avec le cadre théorique standard à trois neutrinos. Par suite, toutes les autres expériences similaires contrediront les résultats du LSND, tant et si bien que ces données « marginales » seront systématiquement exclues des modèles.

Toutefois, le 30 mai 2018, la collaboration MiniBooNE a publié une étude sur le serveur de pré-publication arXiv, qui pourrait bien renverser la situation. Lancée en 2002 au Fermilab, l’expérience MiniBooNE (Mini Booster Neutrino Experiment) a pour but d’étudier l’oscillation des neutrinos et de confronter les données recueillies à celles du LSND. Pour ce faire, les physiciens dirigent un faisceau de neutrinos muoniques dans un détecteur rempli avec 800 tonnes d’huile minérale, combiné à 1280 tubes photomultiplicateurs ; ces derniers permettent de détecter le flash lumineux produit par l’interaction entre un neutrino électronique et un antineutrino.

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Neutrinos : masse, oscillation et neutrino stérile

Prédits pour la première fois en 1930 par Wolfgang Pauli puis détectés expérimentalement en 1956, les neutrinos sont des fermions ne possédant ni charge électrique, ni charge de couleur. Ils n’interagissent donc qu’avec la gravité et l’interaction faible, rendant ainsi leur détection extrêmement compliquée. Il existe trois saveurs de neutrinos : électronique, muonique et tauique. Dans le Modèle Standard des particules, les neutrinos n’ont pas de masse.

Cependant, les calculs menés dans le cadre de l’interaction faible montrent que s’ils ont une masse, alors un phénomène d’oscillation doit apparaître. Prédite par le physicien italien Bruno Pontecorvo en 1957 puis formalisée par les physiciens japonais Jiro Maki, Masami Nakagawa et Shoichi Sakata en 1962, l’oscillation des neutrinos est le mécanisme par lequel un neutrino change de saveur au cours de sa propagation ; en d’autres mots, au cours de sa trajectoire, un type de neutrino peut se transformer en un autre. Ce phénomène a été confirmé expérimentalement, confirmant indirectement l’existence d’une masse pour les neutrinos et indiquant donc une défaillance du Modèle Standard.

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Les neutrinos peuvent osciller au cours de leur propagation, c’est-à-dire se transformer en un autre type de neutrino durant leur parcours. Crédits : Jstimson

Les physiciens ont alors commencé à développer plusieurs théories au-delà du Modèle Standard, permettant d’expliquer cette masse. L’une d’elles fait intervenir un quatrième type de neutrino, le « neutrino stérile ». Ce neutrino ne possède aucune charge électrique, aucune charge de couleur ou charge faible, il n’interagit donc qu’avec la gravité. En outre, sa masse est nécessairement plus élevée que celle des trois autres neutrinos. L’existence d’un neutrino stérile pourrait expliquer la masse de l’ensemble des neutrinos, l’asymétrie matière-antimatière de l’univers observable, et constitue également un sérieux candidat à la matière noire.

L’expérience MiniBooNE a-t-elle détecté une trace des neutrinos stériles ?

En 1998, les résultats du LSND révèlent un excès de neutrinos électroniques et d’antineutrinos, incompatible avec le modèle d’oscillation à trois neutrinos classiquement admis. En effet, techniquement, le mécanisme d’oscillation à trois neutrinos requièrent neuf paramètres au maximum (masses, angles de mélange et phases), et ces paramètres ne correspondent pas aux données recueillies par le LSND. Malgré les nombreuses expériences suivantes — notamment le détecteur IceCube situé au Pôle Sud, ayant analysé 100’000 événements sur plus de 10 ans — ces résultats n’ont jamais été répliqués et ont donc été considérés comme biaisés.

C’était sans compter sur l’expérience MiniBooNE qui, il y a quelques jours, a annoncé avoir détecté le même excès de neutrinos électroniques avec une fidélité de 4.8 σ, atteignant même 6.1 σ après combinaison avec les données du LSND. Les détecteurs ont observé 2437 événements en excès, soit 460 de plus que les prédictions initiales. Ces résultats confirment donc bien ceux obtenus par le LSND. Une telle anomalie ne peut actuellement pas être expliquée dans le cadre du modèle à trois neutrinos, et nécessite soit l’introduction d’un neutrino stérile soit l’introduction d’une violation de la symétrie CPT ou de l’invariance de Lorentz.

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Les résultats de l’expérience LSND (turquoise/jaune) sont exclus par les autres expériences (zones bleues/rouges) mais coïncident parfaitement avec ceux de l’expérience MiniBooNE. L’anomalie concernant l’excès de neutrinos électroniques est donc confirmée. Crédits : MiniBooNE Collaboration

En effet, les neutrinos stériles n’interagissant qu’avec la gravité, ils ne peuvent être détectés directement par les tubes photomultiplicateurs, qui n’observent que les photons émis par l’interaction entre neutrinos. En revanche, théoriquement, les neutrinos stériles peuvent se mélanger aux trois autres types de neutrinos et affecter le mécanisme d’oscillation, créant ainsi un excès de neutrinos électroniques. Cet excès détecté par MiniBooNE pourrait donc signer la présence de neutrinos stériles.

Toutefois, de tels résultats n’ont rien de définitif ni de concluant. L’excès observé peut également avoir été provoqué par l’intervention d’autres particules connues (ou non) du Modèle Standard. Les données doivent être répliquées et confortées par d’autres expériences. Ces résultats ont en tout cas le mérite de donner un sérieux coup de pied dans la fourmilière, et nul doute que les physiciens sauteront sur l’occasion de se remettre sur la piste du mystérieux neutrino stérile. Et qui sait, peut-être également sur celle de la matière noire.

Source : arXiv

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