Un « monde quantique caché » à l’intérieur des protons révèle des interactions inattendues

Un nouveau modèle théorique décrit la dynamique complexe des interactions internes des protons.

proton quantique cache extreme
Vue d'artiste d'une collision inélastique entre un proton et un électron relativiste (surligné en bleu). | IFJ PAN, jch
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Au cours des dernières années, les physiciens ont découvert que l’intrication quantique à l’intérieur d’un proton est maximale en raison de mers de gluons et de quarks virtuels en constante ébullition. En s’appuyant sur la théorie de l’information quantique, un groupe de physiciens a pour la première fois développé un modèle théorique universel décrivant ces interactions et concordant avec toutes les données expérimentales disponibles actuellement.

La compréhension de la dynamique à l’intérieur d’un proton constitue l’un des domaines de recherche les plus actifs en physique. Cependant, malgré plusieurs décennies de recherches, elle demeure à ce jour en grande partie insaisissable. En effet, contrairement aux autres particules telles que les électrons, les protons ne sont pas des particules élémentaires. Leur structure est maintenue à l’aide d’interactions extrêmement fortes et complexes que les physiciens tentent encore de décrire.

L’intérieur d’un proton est composé de trois quarks de valence (deux up et un down) maintenus ensemble à l’aide des gluons, les particules porteuses des interactions fortes. Ces dernières sont si puissantes que la dynamique des quarks et des gluons change constamment, un peu à la manière d’une grande quantité d’eau en ébullition. Plus précisément, des paires de quarks et d’antiquarks virtuels (même ceux aussi massifs que le quark charm) et des paires de gluons virtuels (ce qui est possible, car ces particules sont des antiparticules les unes des autres) apparaissent et disparaissent constamment.

Afin de modéliser les interactions à l’intérieur d’un proton, une nouvelle étude codirigée par l’Institut Henryk Niewodniczanski de Physique Nucléaire de l’Académie Polonaise des Sciences a utilisé la théorie de l’information quantique et le concept d’intrication quantique. Pour ce faire, l’équipe a analysé les données de collisions inélastiques profondes entre électrons et protons. Au cours de ce type de phénomène, l’énergie cinétique des corps qui entrent en collision est totalement ou en partie convertie en énergie interne dans au moins un des corps.

« Si nous voulons comprendre les phénomènes qui se produisent à l’intérieur d’un proton, nous devons d’abord y arriver d’une manière ou d’une autre », explique dans un communiqué de l’Institut Henryk Niewodniczanski de Physique Nucléaire de l’Académie Polonaise des Sciences, Krzysztof Kutak, coauteur de l’étude. « À l’heure actuelle, les collisions entre protons et électrons sont le meilleur moyen d’y parvenir, car ces derniers sont non seulement beaucoup plus petits que les protons, mais surtout, ce sont des particules élémentaires, ce qui nous garantit qu’ils ne se désintègrent pas en quoi que ce soit d’autre ».

Un photon incrusté permettant d’apercevoir l’intérieur d’un proton

L’équipe de recherche a émis l’hypothèse que malgré la taille extrêmement limitée du proton, les quarks et les gluons (collectivement appelés partons) qui le composent sont quantiquement intriqués. Deux objets sont intriqués lorsque la mesure de l’une des caractéristiques de l’un réagit en réponse à un changement dans cette même caractéristique au niveau du second objet. L’intrication reste valable même lorsque l’information sur le changement n’a pas le temps d’être transmise entre les objets, sans qu’un vecteur ne transporte cette information à travers l’espace qui les sépare.

« Dans le cas de l’intérieur du proton, l’intrication se produit à des distances difficiles à imaginer, d’un quadrillionième de mètre ou moins, et constitue une caractéristique collective. Comme nous l’avons montré dans nos publications précédentes, elle affecte non pas quelques-uns, mais tous les partons du proton », explique Martin Hentschinski, de l’Université de las Américas à Puebla, au Mexique, et auteur principal de l’étude – détaillée dans la revue Reports on Progress in Physics.

Lorsqu’un électron entre en collision avec un proton pour tenter d’explorer son intérieur intriqué, une interaction électromagnétique portée par un photon se produit entre les deux particules. Dans le cadre d’une collision profondément non élastique, l’énergie du photon serait si élevée que l’onde électromagnétique qu’il transporte pénétrerait à l’intérieur du proton et permettrait d’apercevoir les détails de sa structure interne.

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Lors d’une collision profondément inélastique avec un proton, un électron relativiste (surligné en bleu) peut émettre un photon de haute énergie (en violet) qui pénètre à l’intérieur du proton, où il ne « voit » qu’une fraction des quarks, des gluons et des particules virtuelles intriquées. Le proton excité se désintègre ensuite en cascades de particules secondaires. © IFJ PAN, jch

Suite à son interaction avec le photon, le proton se désintégrerait ensuite en produisant un grand nombre de particules secondaires (des hadrons). L’intrication quantique se manifesterait par le fait que le nombre de particules secondaires émises par la partie du proton « aperçue » détermine le nombre de particules produites sous forme de hadrons observées.

D’après les chercheurs, si on a accès à l’intégralité de l’information d’intrication véhiculée à l’intérieur du proton, on pourrait obtenir une entropie d’intrication nulle. Ce phénomène constitue un élément essentiel pour l’étude des systèmes de particules complexes et de la théorie de l’information quantique.

Cependant, le photon s’incrustant à l’intérieur du proton n’apercevrait qu’en partie de sa structure interne, tandis que le reste lui serait « caché ». Cela signifierait que l’entropie d’intrication est non nulle et qu’il serait possible d’en déduire directement la quantité d’intrication se produisant à l’intérieur du proton.

Des prédictions confirmées par les mesures disponibles

Les chercheurs de la nouvelle étude ont démontré que l’entropie d’intrication permet de prédire celle des hadrons résultant des collisions électron-proton. L’intrication maximale des quarks et des gluons au sein d’un proton se manifesterait donc par l’impossibilité de déterminer combien de particules seront produites lors d’une collision donnée.

Ces prédictions ont été confirmées par les mesures effectuées entre 2006 et 2007 lors de l’expérience H1 de l’accélérateur de particules HERA, du centre DESY de Hambourg. Au cours de cette expérimentation, des protons isolés sont entrés en collision avec des positons, les antiparticules des électrons.

« Nous travaillons sur l’intrication à l’intérieur du proton depuis plusieurs années maintenant. Après avoir vérifié nos travaux théoriques précédents en confrontant des mesures issues de sessions de mesure spécifiques, nous sommes désormais parvenus à décrire toutes les données expérimentales d’entropie de diffusion inélastique profonde dans un seul formalisme universel », affirme Zhoudunming Tu du Brookhaven National Laboratory, également coauteur de l’étude.

D’après l’équipe, ces résultats permettront de faciliter et d’améliorer la précision des mesures des futurs collisionneurs de particules, telles que le collisionneur électron-ion (EIC) qui sera lancé au laboratoire de Brookhaven au début de la prochaine décennie. Ils permettraient aussi potentiellement de résoudre certaines des plus grandes énigmes de la physique des particules, telle que la question de savoir comment l’appartenance à un noyau atomique plus grand affecte les propriétés d’un seul proton.

Source : Reports on Progress in Physics
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