Des réseaux quantiques dans nos cellules ? Une nouvelle hypothèse sur le calcul biologique

Une vitesse de calcul cellulaire bien plus élevée qu’on ne l’imaginait, portée par des effets quantiques insoupçonnés.

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| Pixabay
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Une étude récente suggère que les organismes vivants à base de carbone disposent d’une capacité de traitement de l’information bien plus élevée qu’estimée, grâce aux effets quantiques induits par certaines molécules biologiques. Ces propriétés, centrées sur le tryptophane — un acide aminé omniprésent dans les structures vivantes, concerneraient aussi bien les organismes neuronaux que ceux dépourvus de système nerveux. Ces résultats pourraient aboutir à de nouvelles voies de recherche dans plusieurs branches de la physique quantique.

Il est communément admis que la mécanique quantique opère à l’échelle infinitésimale — celle des molécules, des atomes ou des particules —, tandis que les lois de la physique classique prévalent à des échelles plus vastes. Les effets quantiques, par nature instables, sont extrêmement sensibles aux perturbations de leur environnement. C’est pour cette raison, par exemple, que les ordinateurs quantiques nécessitent des températures cryogéniques pour effectuer des calculs avec précision.

Cependant, les travaux menés par le physicien théoricien Philip Kurian, fondateur du Laboratoire de biologie quantique (QBL) à l’Université Howard (Washington), apportent un éclairage nouveau. Son équipe a mis en évidence un phénomène de « superradiance quantique » propre aux polymères protéiques, capable de résister à la fois aux milieux aqueux et aux conditions environnementales complexes, à l’échelle du micron.

L’année dernière, les chercheurs ont ainsi observé expérimentalement cette superradiance dans les filaments du cytosquelette, présents dans toutes les formes de vie à base de carbone. Une telle découverte pourrait indiquer que les organismes eucaryotes utilisent certains effets quantiques dans le traitement de l’information, ce qui inviterait à repenser certains aspects de l’évolution des systèmes vivants sur Terre. Kurian renforce son hypothèse dans une étude publiée récemment dans la revue Science Advances, en identifiant les molécules responsables de ces effets.

Marco Pettini, chercheur à l’Université d’Aix-Marseille et au Centre de physique théorique du CNRS (non impliqué dans l’étude), souligne que « la remarquable confirmation expérimentale de la superradiance à photon unique dans une architecture biologique omniprésente à l’équilibre thermique ouvre de nombreuses nouvelles pistes de recherche en optique quantique, en théorie de l’information quantique, en physique de la matière condensée, en cosmologie et en biophysique ».

Une vitesse de traitement surpassant les capacités actuelles de l’informatique quantique

Selon le modèle traditionnel de la signalisation biochimique, les ions traversent les membranes cellulaires via des canaux ioniques à une cadence d’environ 103 opérations par seconde. Pourtant, des expériences récentes révèlent que les polymères du cytosquelette sont capables de soutenir des états de superradiance quantique à température ambiante, atteignant une cadence de traitement de 1012 à 1013 opérations par seconde. Soit deux ordres de grandeur au-dessus de la limite de Margolus-Levitin, qui définit le plafond théorique de la vitesse d’un ordinateur quantique.

Kurian attribue cette propriété inédite au tryptophane, un acide aminé présent dans de nombreuses protéines, connu pour absorber la lumière ultraviolette et la réémettre à une longueur d’onde plus longue. On retrouve les réseaux de tryptophane dans une grande diversité de structures biologiques : microtubules, fibrilles amyloïdes, récepteurs transmembranaires, capsides virales, cils, centrioles, neurones, entre autres.

Ces réseaux de tryptophane agiraient comme des fibres optiques, permettant aux cellules un traitement de l’information des milliards de fois plus rapide que par les mécanismes purement chimiques. Un avantage potentiel pour les systèmes biologiques. Comme le souligne Seth Lloyd du Massachusetts Institute of Technology (MIT) : « il est bon de rappeler que le calcul effectué par les systèmes vivants est bien plus puissant que celui des systèmes artificiels ».

Les cellules aérobies, par exemple, utilisent l’oxygène pour métaboliser les nutriments, produisant des radicaux libres susceptibles d’émettre des rayonnements ultraviolets potentiellement nocifs. Le tryptophane, en captant ces radiations et en les réémettant sous une forme moins agressive, agirait en quelque sorte comme un filtre protecteur. Kurian avance que ce recyclage serait encore plus efficace grâce aux effets quantiques générés par ces réseaux moléculaires, avec des applications thérapeutiques potentielles, notamment dans la lutte contre les maladies neurodégénératives.

Par ailleurs, bien que le traitement biologique de l’information soit généralement associé aux neurones, la recherche néglige souvent la capacité des organismes sans système nerveux — champignons, plantes, bactéries — à réaliser des calculs complexes. Ces organismes, majoritaires dans la biomasse terrestre, ont précédé les animaux dans l’histoire évolutive. Il est donc plausible que la superradiance quantique dans le traitement de l’information biologique remonte à des temps bien plus anciens qu’imaginé.

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Les capacités de calcul des organismes sans système nerveux et des neurones ont été considérablement sous-estimées en ne considérant que les canaux d’information classiques tels que les flux ioniques et les potentiels d’action. Cependant, des expériences de rendement quantique de fluorescence ont récemment confirmé que de vastes réseaux d’émetteurs quantiques présents dans les polymères du cytosquelette soutiennent des états superradiants à température ambiante, atteignant des vitesses maximales supérieures de deux ordres de grandeur à la limite de Margolus-Levitin pour les états photoexcités ultraviolets. © Laboratoire de biologie quantique, Philip Kurian

Des implications allant de l’informatique quantique à l’astrobiologie

Des signatures d’effets quantiques similaires ont également été observées dans le milieu interstellaire et certains astéroïdes. Ces phénomènes pourraient représenter des précurseurs de l’avantage informationnel des organismes eucaryotes et revêtent un intérêt potentiel pour l’étude de l’habitabilité des exoplanètes. « Physiciens et cosmologistes devraient s’interroger sur ces résultats, notamment lorsqu’ils explorent les origines de la vie sur Terre et dans d’autres environnements habitables, où l’évolution coexiste avec le champ électromagnétique », affirme Kurian.

Ces travaux retiennent également l’attention des chercheurs en informatique quantique, en raison de la capacité apparente des systèmes biologiques à maintenir des effets quantiques dans des conditions jusqu’ici considérées comme incompatibles. « Ces nouvelles comparaisons de performances intéresseront la vaste communauté de chercheurs en systèmes quantiques ouverts et en technologie quantique », conclut Nicolò Defenu, chercheur à l’École polytechnique fédérale de Zurich (ETH), non impliqué dans l’étude.

Source : Science Advances

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