Sacculine : quel est ce parasite « zombifiant » les crabes en les transformant en femelles ?

sacculine parasite crabe
| Hans Hillewaert
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Défini comme une relation biologique entre deux êtres vivants où l’un des protagonistes (le parasite) tire profit d’un organisme hôte pour s’abriter, se nourrir et se développer, le parasitisme est une pratique courante dans la nature. Chaque parasite possède un mode opératoire particulier et la sacculine n’y fait pas exception. Cependant, non seulement cette dernière « zombifie » son hôte en modifiant son comportement, mais elle en transforme aussi le sexe. 

La sacculine (Sacculina Carcini) est un crustacé (Arthropode) parasitant principalement les crabes verts (Carcinus Maenas). Pouvant atteindre une taille de 26 millimètres, elle est généralement de couleur jaune-orangée. Avec le temps, sa couleur se fonce et peut même devenir noire chez les spécimens les plus âgés. Elle est hermaphrodite. En effet, elle possède à la fois des testicules et des ovaires.

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Cycle et développement de la sacculine

Le développement de la sacculine, comme celui de tout parasite, suit un cycle bien particulier débutant par l’état larvaire. Bien que suivant un cycle classique, celui-ci comporte des étapes complexes qui ont été le sujet d’étude principal du biologiste Yves Delage. Le premier stade larvaire est celui de la larve Nauplius. Celle-ci va muer en larve Cypris, phase durant laquelle le sexe se différencie.

parasite larves nauplius cypris
À gauche, une larve Nauplius et à droite, une larve Cypris. Toutes deux observées au microscope électronique. Crédits : Diatomloir

La larve cypris se met ensuite à la recherche d’un hôte. Si elle n’en trouve pas, elle ne pourra pas survivre car elle a besoin de nutriments pour se développer. La larve va donc s’accrocher à un crabe vert qu’elle aura choisi comme hôte. Pour cela, elle se sert de ses antennules, appendices terminés par des ventouses pour s’accrocher à sa cible. Dès lors, la sacculine devient entièrement dépendante du crabe, car c’est grâce à lui qu’elle survit. Elle ne peut plus s’en détacher.

La sacculine étant un parasite, sa durée de vie est étroitement liée à celle de son hôte. En effet, lorsque le crabe meurt, la sacculine meurt elle aussi. La durée de vie moyenne est compris entre un et deux ans. La sacculine peut être parasitée à son tour par un parasite rare du genre Danalia. Celui-ci forme un boudin jaune ou rose qui se fixe à la sacculine.

sacculine developpement anatomie
La sacculine subit une transformation anatomique tout le long de son cycle de développement. Crédits : Fabien Trédez & al.

Transformation du crabe par la sacculine

Une fois fixée au crabe grâce à ses antennules, la larve entame une transformation spectaculaire. À l’issue de celle-ci, elle injecte les tissus qu’elle contient à l’intérieur du crabe hôte. Ces tissus vont innerver toute la paroi digestive de l’animal sous forme d’un gigantesque réseau de filaments ramifiés. Les ramifications vont s’enfoncer profondément et se prolonger jusqu’à l’extrémité de chaque patte.

Un nodule constitué de tissu reproducteur se forme en parallèle et va venir perforer le tégument du crabe pour ressortir au niveau de l’abdomen. Ainsi, la sacculine est composée de deux parties bien distinctes :

    • une partie externe visible située au niveau de l’espace entre l’abdomen et le céphalothorax (« tête ») de l’animal. Cette partie est appelée externa. C’est en quelque sorte une gonade géante où se déroule la fécondation et l’incubation des œufs et des larves. Celle-ci est relié à l’abdomen par un court pédoncule qui traverse la paroi abdominale du crabe
    • une partie interne non visible et constituée d’un réseau complexe de filaments, des canaux appelés rhizoïdes, envahissant l’intérieur du crabe
sacculine parasite crabe externa
Une sacculine parasitant un crabe vert (flèche jaune). Sur cette photo, la partie externe (externa) du parasite est clairement visible. Crédits : DORIS

Une fois l’externa bien en place, la mue du crabe s’arrête. Sa croissance somatique se bloque, supprimant ainsi toute activité sexuelle. C’est la sacculine qui occupera le rôle de la ponte. Cette dernière pond entre 100’000 et 300’000 œufs par cycle pour les plus gros spécimens.

Une fois éclos, une nouvelle larve Nauplius est libérée. Le cycle de reproduction peut ainsi se répéter. En revanche, si l’externa venait à chuter, les changements affectant le crabe deviendraient réversibles via à une nouvelle mue.

Féminisation du crabe et impact sur l’écosystème

Grace à son réseau de filaments, la sacculine va prélever les éléments nutritifs contenu dans le corps du crabe et les rediriger vers son propre corps. C’est pour cette raison que la croissance somatique de l’animal et sa reproduction ne peuvent plus avoir lieu. Le parasite modifie le comportement des crabes qu’il infecte. Aussi, il va parasiter le crabe mâle d’une façon bien particulière.

En régulant l’activité des glandes endogènes du crabe (responsables de la différenciation des caractères sexuels), la sacculine va en quelque sorte le « féminiser ». Celui-ci va alors se comporter comme une femelle et va s’occuper des œufs de la sacculine comme s’il s’agissait des siens.

Sa cavité abdominale va également s’agrandir afin de pouvoir créer un espace pour les œufs de la sacculine. Il a été démontré que la sacculine parasitait plus souvent les crabes mâles. En effet, cette catégorie représente les 3⁄4 des animaux porteurs.

La sacculine exerce un certain contrôle sur la population de crabes verts (ceux-ci étant les hôtes les plus répandus) car elles font drastiquement baisser leur capacité à se reproduire. On estime qu’au sein de certaines populations données de crabes verts, 50% ont été rendus infertiles par la sacculine. Cela pourrait à long terme constituer une menace pour l’équilibre de l’écosystème.

Source : Journal de Parasitologie

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  1. Bonjour Madame/Mlle Stauffenberg

    Merci pour ce passionnant article de biologie marine !
    Plongeur, je viens de découvrir il y a quelques jours à peine l’existence de Sacculina Carcini, en cours de biologie marine, associé au niveau PB2 de Biologie Subaquatique de la FFESSM (Commission BioSUB 02 / Aisne).

    C’est en faisant une recherche internet que j’ai découvert votre article, qui m’apprend le cycle de reproduction, de ce parasite, arthropode, qui parasite lui-même un autre arthropode, et qui peut, extraordinaire, être lui-même parasité.

    J’avais connaissance d’un champignon qui pouvait modifier le comportement des fourmis. Je découvre ici que cela existe aussi sous la mer.

    Je suis médecin, et la compréhension fine des mécanismes qui permettent à certains organismes, de modifier le cycle ou de diriger la vie d’autres organismes est passionnante !

    Encore merci, et bonne continuation.

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