Une enquête suggère que près de 13 % des personnes diagnostiquées avec une démence pourraient en réalité souffrir d’une maladie hépatique réversible et traitable appelée « encéphalopathie hépatique ». Les symptômes de cette maladie étant fortement similaires à ceux de la démence, certains patients seraient ainsi mal diagnostiqués et souffriraient d’un déclin cognitif qui pourrait en réalité être évité.
La prévalence de la démence augmente à mesure que la population mondiale vieillit. On estime que plus de 55 millions de personnes souffrent actuellement de démence dans le monde et près de 10 millions de nouveaux cas sont diagnostiqués chaque année. Alors que la démence englobe une large gamme de maladies (Alzheimer, Parkinson, démence vasculaire et à corps de Lewy, …), il peut être difficile d’en distinguer les symptômes de ceux de l’encéphalopathie hépatique.
L’encéphalopathie hépatique est un déclin cognitif provoqué par la cirrhose, une forme avancée de maladie de foie caractérisée par la présence des cicatrices irréversibles au niveau de l’organe. En effet, le foie est un organe discret et parfois sous-estimé assurant des fonctions essentielles telles que le métabolisme des nutriments et la décomposition des toxines. Il permet d’assurer le bon fonctionnement d’autres organes vitaux, y compris le cerveau, le cœur et les reins.
Cependant, bien que le foie soit résilient, il est tout de même vulnérable à différentes maladies telles que les hépatites, l’hypercholestérolémie, l’obésité et le diabète. Les dommages causés au foie par ces maladies peuvent être inversés à condition qu’ils soient détectés suffisamment tôt. Dans le cas contraire, les lésions et l’inflammation chronique évoluent vers une fibrose et finalement une cirrhose. Les risques de cirrhose augmentent aussi avec l’âge, la consommation d’alcool et d’autres maladies sous-jacentes telles que l’insuffisance cardiaque congestive.
Le foie « cirrhosé » ne fonctionne plus correctement pour métaboliser les toxines. Ces dernières s’accumulent alors dans le sang et peuvent se déplacer jusqu’au cerveau, affectant ainsi les fonctions cérébrales. Cela provoque les symptômes de déclin cognitif caractéristiques de l’encéphalopathie hépatique. Cette dernière peut cependant être soignée et même inversée si elle est détectée suffisamment tôt.
Étant donné la similitude des symptômes, les chercheurs soupçonnent que les patients souffrant de démence devraient également être examinés pour une cirrhose afin d’éliminer la possibilité d’une encéphalopathie hépatique. « Ce lien important entre la démence et la santé du foie souligne l’importance de dépister les patients pour les facteurs potentiellement traitables contribuant au déclin cognitif », explique dans un communiqué du VCU Health de l’Université de Richmond (aux États-Unis), Jasmohan Bajaj, gastroentérologue au Richmond VA Medical Center, entre autres.
Une précédente étude de Bajaj et ses collègues a notamment montré qu’environ 10 % des patients diagnostiqués avec une démence présentent également une cirrhose. La nouvelle étude (des mêmes chercheurs), récemment publiée dans The American Journal of Medicine, vise à confirmer ces résultats par le biais d’une cohorte plus diversifiée.
Une prévalence plus élevée chez les personnes non caucasiennes
La première enquête réalisée par l’équipe de Bajaj a examiné les dossiers médicaux de 177 422 vétérans américains diagnostiqués avec une démence entre 2009 et 2019. Alors qu’aucun d’entre eux n’avait initialement reçu de diagnostic de maladie du foie, les chercheurs ont constaté que plus de 10 % présentaient des scores élevés de fibrose 4 (FIB-4).
Le score FIB-4 est un indice permettant de mesurer le taux de cicatrisation du foie (ou fibrose). Il est basé sur plusieurs facteurs, dont l’âge et les maladies qui pourraient en être potentiellement à l’origine. Si le score est inférieur à 1,45, il y a 90 % de chance de ne pas atteindre une fibrose sévère. En revanche, si le FIB-4 est élevé (supérieur à 3,25), il y a 65 % de risque que le patient présente une cirrhose.
La nouvelle étude incluait les dossiers médicaux de 68 807 patients issus de la population générale (américaine) et ayant également reçu un diagnostic de démence entre 2009 et 2019. Les chercheurs ont constaté que près de 13 % (12,8 %) d’entre eux présentaient un indice FIB-4 supérieur à 3,25.
« Les prévalences et les déterminants d’un FIB-4 élevé sont frappants, y compris une plus grande proportion de patients qui n’étaient pas caucasiens dans le groupe FIB-4 élevé », ont écrit les chercheurs dans leur rapport. Cela est probablement dû à la disparité dans l’accès aux thérapies et aux soins médicaux.
Ces résultats suggèrent donc qu’une part importante des personnes souffrant de démence pourrait être traitée à l’aide de médicaments contre l’encéphalopathie hépatique. Cela concorde avec le constat d’une précédente étude faisant état de deux patients âgés atteints de Parkinson, dont les symptômes (tremblements, perte de mémoire, hallucinations, etc.) se sont considérablement améliorés après un traitement contre l’encéphalopathie hépatique.
En outre, selon Bajaj, il ne devrait pas être difficile d’intégrer une analyse de score FIB-4 parallèlement au diagnostic de la démence. « L’étape suivante consiste à s’assurer que les prestataires de soins de santé sont informés de ce chevauchement potentiel entre la démence et l’encéphalopathie hépatique, qui est traitable », conclut l’expert.