Difficile de se représenter un nombre aussi monumental. Environ 20 billiards, soit 20 millions de milliards de fourmis vivent sur Terre, selon une nouvelle estimation. Leur répartition autour du globe est toutefois inégale. Des chercheurs ont établi une cartographie de l’abondance des fourmis, afin de mieux comprendre ces insectes et leurs réponses aux changements environnementaux.
La connaissance de la distribution et de l’abondance des organismes est fondamentale pour comprendre leurs rôles dans les écosystèmes et leur importance écologique pour les autres taxons. Mais peu d’études ont été réalisées en ce sens sur les insectes, alors qu’ils tiennent pourtant un rôle écologique majeur. De nombreux naturalistes ont tenté de déterminer le nombre exact de fourmis, mais il n’existe actuellement aucune estimation fiable de leur nombre total sur Terre, ni de leur abondance dans des biomes ou des habitats particuliers.
Une équipe internationale de chercheurs a entrepris de combler ce manque. Grâce à des données provenant de tous les continents et des principaux biomes, elle est parvenue à établir une première estimation empirique de l’abondance globale des fourmis (terrestres et arboricoles) : 20 billiards (soit 20×1015), ce qui représente une biomasse totale d’environ 12 millions de tonnes de carbone sec, soit bien plus que la masse de tous les oiseaux et mammifères sauvages du monde réunis. À elles seules, les fourmis représentent l’équivalent de 20% de la biomasse humaine, rapportent les chercheurs.
Arborez un message climatique percutant 🌍
Un nombre jusqu’à 20 fois plus élevé que les estimations précédentes
Selon l’éminent biologiste américain Edward Osborne Wilson, les insectes et autres invertébrés sont « les petites choses qui dirigent le monde ». Les fourmis, en particulier, sont un élément crucial de la nature : elles aèrent le sol, dispersent les graines, décomposent la matière organique, créent un habitat pour d’autres animaux et constituent une partie importante de la chaîne alimentaire, expliquent les auteurs de l’étude dans The Conversation. Il apparaissait donc essentiel de surveiller ces insectes et d’examiner la façon dont ils s’adaptent aux changements environnementaux actuels.
Cette nouvelle estimation repose sur 489 études, couvrant tous les continents, les principaux biomes et les habitats (y compris les forêts, les déserts, les prairies et les villes). Les scientifiques ayant mené ces études ont utilisé diverses méthodes pour collecter et recenser les fourmis, telles que des pièges à fosse ou des échantillons de feuilles mortes.
Contrairement aux études précédentes, qui reposaient sur une approche descendante (partant du principe que les fourmis représentent environ 1% de la population mondiale d’insectes), les chercheurs ont opté pour une approche ascendante, basée sur des données d’observation collectées sur le terrain (et donc plus fiable). Le nombre obtenu est entre 2 et 20 fois plus élevé que les estimations précédentes, souligne l’équipe.
Ces 20 billiards correspondent à une biomasse d’environ 12 millions de tonnes de carbone, mais le carbone ne représente que la moitié du poids sec d’une fourmi ; ainsi, si l’on considérait l’ensemble de leur organisme, la masse totale des fourmis du monde serait encore plus élevée !
Une densité maximale dans les tropiques
Sur ces 20 billiards, les chercheurs estiment à plus de 3 billiards le nombre de fourmis vivant au sol ; celles-ci sont essentiellement concentrées dans les régions tropicales et subtropicales, mais leur nombre varie considérablement (du simple au sextuple) selon les habitats. Les fourmis sont particulièrement abondantes dans les forêts. Plus étonnant : elles sont également abondantes dans les régions arides. Sans surprise, elles se font en revanche moins nombreuses dans les habitats créés par l’homme.
Les chercheurs soulignent toutefois que leur estimation a des limites : les données d’échantillonnage sur lesquelles elle repose sont inégalement réparties entre les régions géographiques. En outre, la grande majorité de ces échantillons concernent des fourmis au sol ; peu de données concernent les fourmis arboricoles ou souterraines. Il se pourrait ainsi que le chiffre soit bien en deçà de la réalité…
Il existe plus de 15 700 espèces et sous-espèces de fourmis répertoriées, et de nombreuses autres sont en attente d’être nommées. Leur organisation sociale, leur plasticité génétique et leur grande capacité d’adaptation leur ont permis de coloniser presque tous les écosystèmes et régions du monde (excepté les régions polaires).
Aujourd’hui, certaines espèces ne peuvent pas survivre sans les fourmis : elles sont indispensables au monde végétal, dont elles dispersent les graines ; elles aident même les oiseaux à trouver des proies ! « Par hectare, les fourmis déplacent jusqu’à 13 tonnes de masse de sol par an, elles ont donc une grande influence sur le maintien du cycle des nutriments et jouent également un rôle décisif dans la distribution des graines des plantes », explique Patrick Schultheiss, qui a co-dirigé cette étude.
En tant que prédateurs, elles aident également à contrôler les populations d’autres insectes et certaines espèces pourraient même avoir une efficacité similaire ou supérieure à celle des pesticides dans la lutte contre les ravageurs, selon une étude publiée le mois dernier : « à partir de 52 études sur 17 cultures différentes, nous avons constaté que les fourmis diminuent l’abondance des ravageurs non producteurs de miellat, diminuent les dommages aux plantes et augmentent le rendement des cultures », résument les auteurs. Mais certaines espèces peuvent également avoir un impact négatif sur la biodiversité locale : les fourmis de feu peuvent par exemple causer des dommages considérables.
Alors que le nombre d’insectes diminue drastiquement dans le monde, en raison du changement climatique, de l’usage abusif de pesticides et de la destruction des habitats naturels, il est dans l’intérêt de l’humanité de surveiller les populations de fourmis, qui sont un maillon essentiel des écosystèmes terrestres.