La nouvelle de la naissance des jumelles qui ont été modifiées génétiquement a soulevé de nombreuses questions, qu’il s’agisse du futur du chercheur He Jinkakui (à l’origine de cette expérience) ou encore aux applications futures de l’outil CRISPR.
Le sommet international au cours duquel He Jiankui, le scientifique à l’origine des tous premiers bébés modifiés génétiquement, s’est terminé par une déclaration qui a durement touché le scientifique en question. « Nous avons entendu une affirmation inattendue et profondément troublante selon laquelle des embryons humains auraient été édités et implantés, entraînant une grossesse et la naissance de jumelles », lit-on dans le communiqué publié par le comité d’organisation du deuxième Sommet international sur l’édition du génome humain, à Hong Kong, le 29 novembre 2018. « Même si les modifications sont vérifiées, la procédure est irresponsable et ne respecte pas les normes internationales ».
Des critiques similaires sont apparues depuis la révélation de l’expérience et de la naissance des bébés. Le scientifique a utilisé la technique d’édition de gènes CRISPR-Cas9 pour modifier le gène CCR5 dans deux embryons, qu’il avait ensuite implanté dans une femme. Ce gène code et protège une protéine que certaines souches communes du VIH utilisent pour infecter les cellules immunitaires.
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Tandis que les scientifiques dressent le bilan des événements qui se sont écoulés durant ces 10 derniers jours, voici six grandes questions qui restent encore sans réponse.
Est-ce que He Jiankui a ou aura des problèmes ?
Le 27 novembre, un jour avant son allocution au sommet international, le ministère chinois de la Santé a appelé le gouvernement du Guangdong (là où se trouve l’université de He, soit l’Université des sciences et de la technologie du Sud) à enquêter sur lui.
Deux jours plus tard, le ministère des Sciences lui a ordonné de cesser toute activité scientifique. Il avait alors déjà dit que les expériences étaient en attente. À l’heure actuelle, la manière dont l’enquête du Guangdong va se dérouler n’est pas claire. Le scientifique est accusé d’avoir transgressé la directive de 2003 du ministère de la santé, qui n’est pas une loi et ne comporte pas de sanctions claires.
Il n’est pas clair non plus à quel point l’Université est liée, ou non, aux expériences du chercheur. Un porte-parole de l’Université a déclaré à la revue Nature qu’il « ne pouvait pas divulguer de telles informations en ce moment » et qu’il devait attendre des publications officielles « à un moment opportun ». Cette semaine, l’Université a critiqué ses affirmations et a pris ses distances par rapport au travail du scientifique.
Le 27 novembre, le site Web du laboratoire (hébergé par l’Université), auquel He a référé des personnes pour obtenir des informations sur les bébés modifiés par un gène, a été supprimé, bien qu’un autre site internet sur le laboratoire de He soit toujours disponible.
Plusieurs déclarations louant les réalisations de He Jiankui ont également disparu des sites gouvernementaux.
Un article publié sur le site du ministère des Sciences, décrivant une technologie de séquençage génomique développée par He et d’autres éloges sur le site internet de Thousand Talents Plan (un programme prestigieux visant à ramener des universitaires de haut niveau en Chine), sont désormais inaccessibles. Il n’est pas clair si ces actions sont liées aux événements de la semaine dernière, mais ce qui est certain, c’est que ces deux publications étaient encore accessibles jusqu’à récemment.
He est retourné à Shenzhen (où il vit) après son discours au sommet, selon une déclaration fournie par le porte-parole de He, Ryan Ferrell, et a manqué une apparition publique prévue au sommet, le 29 novembre. « Je suis rentré à Shenzhen et je ne participerai pas à la conférence jeudi. Je resterai en Chine, mon pays d’origine, et je coopérerai pleinement avec toutes les demandes de renseignements concernant mon travail », a déclaré le communiqué.
Les revendications de He, sont-elles correctes ?
De nombreux scientifiques ont déclaré qu’un organisme indépendant devrait confirmer les affirmations de He, en effectuant une comparaison approfondie des gènes des parents et des enfants. Le problème est que presque tout le monde s’accorde pour dire que les bébés et leurs parents doivent rester anonymes : « Ils sont restés anonymes pour de bonnes raisons » a déclaré David Baltimore, biologiste primé au prix Nobel, président du comité d’organisation du sommet et ancien président du California Institute of Technology de Pasadena. « Nous n’avons même pas encore expliqué comment cette enquête indépendante se déroulerait », a-t-il ajouté.
L’équipe de He pourrait par exemple fournir des échantillons anonymisés, et des scientifiques externes pourraient également visiter le laboratoire de He pour analyser ces données.
Dans une déclaration publiée par le porte-parole de He, le scientifique a déclaré qu’il inviterait d’autres chercheurs à mener une enquête indépendante. « Mes données brutes seront disponibles pour un examen par une tierce partie ».
He a également déclaré avoir soumis ses études sur les recherches en édition de gènes humains à des revues, pour publication, et avait indiqué à certains scientifiques qu’un article serait publié d’ici la fin de l’année (mais n’a pas spécifié dans quelle revue).
Dans tous les cas, même si cela se produisait, les lois chinoises strictes en matière de ressources génétiques l’empêcheraient de publier les séquences de gènes des parents ou des enfants. Et, sans cela, les scientifiques auraient du mal à vérifier ses revendications.
Comment l’outil CRISPR a-t-il édité les génomes des jumelles ?
Bien entendu, en l’absence d’une publication ou d’une pré-publication révisée par des pairs décrivant le travail d’édition génétique effectué par He, certains scientifiques ont analysé sa présentation pour tenter de comprendre comment les génomes des jumeaux avaient été modifiés, ainsi que les conséquences potentielles de ces changements.
Gaétan Burgio, généticien à la Australian National University à Canberra, qui travaille sur l’édition de gènes CRISPR, indique que les données de séquençage brutes que He a présentées dans son exposé suggèrent que les bébés hébergent plusieurs versions éditées du gène CCR5 avec un ADN de taille différente. Ce « mosaïcisme » peut être provoqué lorsque CRISPR édite certaines cellules embryonnaires précoces différemment d’autres, ou ne parvient pas à en éditer certaines. D’autres chercheurs ont signalé ce mosaïcisme dans les efforts pour éditer des embryons humains à des fins de recherche.
Le chercheur en ARN Sean Ryder, de la faculté de médecine de l’Université du Massachusetts à Worcester, a signalé des préoccupations supplémentaires. He a déclaré lors de la conférence, qu’il avait ciblé le gène CCR5 car certaines personnes portaient naturellement une mutation de ce dernier, et qu’une délétion de l’ADN 32, appelé delta-32, désactive ce gène.
Cependant, Ryder explique que les suppressions CCR5 que He prétendait introduire dans les cellules de bébés par édition de gène CRISPR, ne sont pas identiques à la mutation delta-32. « Le fait est que cela ne correspond pas à la mutation bien étudiée du delta 32 et, autant que je sache, aucun (de ces éléments) n’a été étudié dans des modèles animaux auparavant. C’est inacceptable. », a expliqué Ryder.
I made a new figure to try to help explain the nature of the « reported » mutations in #CRISPRbabies. The point is that none of the three match the well studied delta 32 mutation, and as far as I can tell, none have been studied in animal models. Unconscionable. #GeneEditSummit pic.twitter.com/twZJhUi751
— Sean Ryder (@RyderLab) 29 novembre 2018
Quand y aura-t-il d’autres humains édités génétiquement ?
Tandis que Jennifer Doudna, pionnière de l’outil d’édition du génome CRISPR-Cas9, écoutait la présentation de He, une idée lui revenait sans cesse à l’esprit : … (suite à la page suivante)