Depuis le début de l’année 2023, la planète est confrontée à l’épisode de blanchissement corallien le plus intense jamais observé. Les derniers rapports climatiques révèlent que le stress thermique à l’origine de ce phénomène a affecté 83,7 % des récifs coralliens à l’échelle mondiale — une conséquence directe du réchauffement climatique d’origine anthropique.
Bien qu’ils ne couvrent que 0,2 % de la surface océanique, les récifs coralliens abritent environ 25 % de la biodiversité marine. Cette ressource vitale soutient la subsistance de milliards de personnes, générant chaque année une valeur économique estimée à des milliers de milliards de dollars, tant en termes d’approvisionnement alimentaire que d’emplois et de protection côtière.
Depuis les années 1950, la couverture corallienne viable aurait diminué de moitié, principalement en raison de blanchissements massifs provoqués par le réchauffement des océans. Lors du premier épisode global documenté, en 1998, 21 % des coraux avaient été touchés. Ce taux est passé à 37 % en 2010, puis à 68 % lors de l’épisode survenu entre 2014 et 2017.
Selon le Réseau mondial de surveillance des récifs coralliens (GCRMN), les récifs ont enregistré une perte de 14 % entre 2009 et 2018, à l’échelle planétaire. Si ce recul est attribuable à la fois à des pressions locales et au changement climatique, les pertes induites par ce dernier pourraient, à elles seules, atteindre un coût annuel de 500 milliards de dollars d’ici à 2100.
D’après les climatologues, l’épisode de blanchissement entamé en 2023 constitue le plus important jamais recensé. Selon la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA), le stress thermique a touché 83,7 % des récifs de la planète entre le 1er janvier 2023 et le 30 mars de cette année, affectant au moins 83 pays et territoires.
« Les causes de la disparition des récifs coralliens sont multiples ; mais il ne faut pas tourner autour du pot. Le blanchissement et la mort des coraux sont principalement dus au réchauffement rapide de l’océan, comme en témoigne l’ampleur de ce quatrième épisode de blanchissement planétaire », a déclaré dans un communiqué de l’Initiative internationale pour les récifs coralliens (ICRI), Peter Thomson, envoyé spécial du Secrétaire général des Nations unies pour les océans.
3 nouveaux niveaux d’alerte de blanchissement
Sous l’effet d’un stress thermique aigu, les coraux expulsent les algues symbiotiques qui vivent dans leurs tissus — algues qui leur confèrent leurs couleurs, les protègent des agressions extérieures et leur fournissent de l’énergie. Ce blanchissement peut être réversible si les conditions redeviennent rapidement normales. En revanche, les coraux finissent par mourir si les températures demeurent élevées, empêchant notamment la recolonisation par les algues symbiotiques.
La fenêtre de récupération des récifs s’amenuise à mesure que la température des océans s’élève. L’année dernière a été la plus chaude jamais enregistrée, marquant également le premier franchissement du seuil emblématique de +1,5 °C par rapport à la moyenne préindustrielle. Cette surchauffe a contribué à des températures océaniques exceptionnellement élevées, et le nombre annuel de vagues de chaleur marine a triplé.
La gravité inédite du phénomène a conduit à l’ajout de trois nouveaux niveaux d’alerte (niveaux 3 à 5) à l’échelle de prédiction standard du blanchissement. À titre de comparaison, cela reviendrait, pour les cyclones tropicaux, à introduire des catégories 6 et 7. Le niveau 2 correspond à un risque de mortalité pour les espèces de coraux les plus sensibles à la chaleur, tandis que le niveau 5 signale un risque de mortalité supérieur à 80 % pour l’ensemble des coraux d’un récif.
« Par le passé, de nombreux récifs coralliens à travers le monde ont pu se rétablir après des événements aussi graves que le blanchissement ou les tempêtes », explique Britta Schaffelke, de l’Institut australien des sciences marines et coordinatrice du GCRMN. Mais, « le fait que ce récent épisode de blanchissement corallien d’ampleur mondiale se poursuive entraîne les récifs coralliens du monde entier dans des eaux inexplorées ».
Autrement dit, l’ampleur et la fréquence des vagues de chaleur marine rendent désormais difficile toute projection quant aux capacités de résilience des coraux. Certains chercheurs rapportent que l’intensité du blanchissement a entraîné une mortalité multi-espèce, voire quasi totale, dans certaines régions. L’épisode a été si prolongé que même les coraux les plus résistants ont succombé.
Une marge de manœuvre pour empêcher leur disparition complète
Les projections scientifiques suggèrent que 70 à 90 % des récifs coralliens pourraient disparaître si le réchauffement global venait à dépasser 1,5 °C. Il resterait néanmoins une marge de manœuvre pour éviter leur extinction totale. Les mesures de conservation doivent être intensifiées afin de limiter les pertes locales et régionales. Cela inclut, par exemple, les efforts de restauration corallienne, la réduction de la pollution plastique, l’arrêt de la surpêche, ou encore la sélection génétique de coraux tolérants à la chaleur.
Pour atteindre ces objectifs, les experts de l’ICRI estiment que les financements consacrés aux récifs coralliens devraient être multipliés par sept. Par ailleurs, les politiques climatiques doivent impérativement être révisées, dans la mesure où les engagements actuels limiteraient difficilement le réchauffement à 2,7 °C. « Nous devons de toute urgence mettre fin à l’ère des énergies fossiles et opérer la transition vers un avenir juste et durable, alimenté par des énergies propres. Nos océans et les communautés qui en dépendent ne peuvent plus attendre », conclut le président des Palaos, Surangel Whipps Jr.