Dans la lutte contre le changement climatique, la reforestation est souvent privilégiée comme solution pour stocker durablement le carbone. Bien qu’elle présente de nombreux avantages écologiques, le rôle crucial des animaux sauvages est souvent sous-estimé. Une nouvelle étude révèle que la conservation de seulement neuf groupes clés d’animaux sauvages pourrait améliorer significativement la séquestration du carbone.
Afin d’éviter une hausse des températures mondiales de 1,5 °C, il est entre autres nécessaire de réduire ou de séquestrer environ 6,41 gigatonnes de dioxyde de carbone par an. La reforestation et la restauration des forêts naturelles sont les solutions les plus couramment adoptées dans le but d’atteindre cet objectif. Les forêts offrent en outre de nombreux avantages, tels que la régénération des sols, la protection contre l’érosion, la restauration des habitats pour les animaux sauvages, la purification des cours d’eau et la création de revenus pour les communautés locales. De plus, les zones humides et les forêts amphibies, telles que les mangroves, séquestrent 55 fois plus de carbone que les forêts tropicales.
Toutefois, les efforts actuels axés sur la restauration des forêts, zones humides, récifs coralliens et prairies ne contribueraient qu’à la capture de 0,5 à 1,5 gigatonnes de carbone par an. De plus, les forêts secondaires ne parviendront jamais à égaler l’efficacité des forêts primaires en matière de séquestration de carbone, malgré les efforts de restauration écologique. Certains experts estiment d’ailleurs que l’objectif de ne pas dépasser les 1,5 °C d’ici 2100 serait à ce rythme irréalisable.
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Selon les chercheurs de l’Institut environnemental de Yale, la séquestration de carbone serait nettement plus élevée avec la conservation de certains groupes clés d’animaux sauvages. La nouvelle étude, publiée dans la revue Nature Climate Change, indique qu’il est nécessaire de protéger efficacement les populations de requins de récifs, de loups gris, de gnous, de loutres de mer, de bœufs musqués et de poissons de mer pour maintenir leur nombre actuel. Par ailleurs, il faudrait augmenter les populations d’éléphants de forêts d’Afrique pour atteindre au moins 500 000 individus, 2 millions pour les bisons d’Amérique et 188 000 pour les baleines à fanons des océans austraux. Ensemble, ces groupes d’animaux sauvages permettraient d’atteindre l’objectif de 6,41 gigatonnes de séquestration de carbone par an, d’après les calculs des chercheurs.
« La science écologique a longtemps négligé le rôle des animaux en tant que moteur important de la biogéochimie des écosystèmes », explique Oswald Schmitz, écologiste à l’Institut environnemental de Yale et auteur principal de la nouvelle étude. En raison de leur nombre réduit par rapport aux végétaux, de nombreux écologistes ont estimé que les animaux sauvages ne jouaient qu’un rôle mineur dans la capture du carbone atmosphérique. Pourtant, ils font partie intégrante de l’écosystème, tout comme les végétaux, et séquestrent du carbone non seulement dans leur propre corps, mais également en contrôlant leurs environnements avec une étonnante efficacité, maintenant ainsi leur équilibre.
Les animaux contrôlent leur environnement pour séquestrer du carbone
Les chercheurs de la nouvelle étude suggèrent d’augmenter la population d’éléphants des forêts d’Afrique (Loxodonta cyclotis), en raison de leur rôle crucial dans le contrôle de leur environnement. Il convient de noter que cette espèce n’a été distinguée de sa cousine des savanes, Loxodonta africana, que récemment, et que toutes deux sont en danger d’extinction selon l’UICN. En consommant des arbustes et d’autres arbres mineurs susceptibles de devenir envahissants et qui rivalisent avec les grands arbres, l’éléphant des forêts stocke efficacement du carbone.
Cette efficacité est renforcée par la capacité de ce grand herbivore à tasser et entretenir les prairies, ainsi qu’à séquestrer du carbone dans son propre corps pendant des décennies (durant sa vie). Des études antérieures estiment que ces pachydermes augmentent de 6 à 9% la capacité de séquestration de carbone des forêts d’Afrique centrale (qui seraient plus efficaces dans la capture du carbone que les forêts amazoniennes).
À l’instar des éléphants, d’autres grands herbivores tels que le gnou et le bison d’Amérique contrôlent également leurs environnements. Ils tassent, par exemple, les sols riches en carbone ainsi que la glace dans le pergélisol. Les migrations saisonnières de ces grands ruminants contribuent également à la dispersion des graines et à l’entretien des prairies pyrophytes, dont la croissance excessive et les incendies qui les entretiennent peuvent conduire à des feux de forêt.
Il existe de nombreux exemples illustrant l’importance des animaux sauvages dans différents écosystèmes, et la nouvelle étude de Yale souligne l’importance d’une synergie entre la conservation de la flore et de la faune. De plus, il faut garder à l’esprit qu’une restauration écologique vise à reconstituer intégralement un écosystème, y compris les animaux, et pas seulement les forêts. Un écosystème est d’autant plus efficace dans l’ensemble de ses fonctions qu’il est diversifié, chaque élément le composant jouant un rôle au sein d’un cycle subtil.
Cependant, il faut garder à l’esprit que la plupart de ces groupes d’animaux sont aujourd’hui en danger d’extinction. Pour les protéger, il faudrait reconvertir de nombreuses zones agricoles en habitats naturels. « Si nous pouvions créer un marché de carbone qui paierait les éleveurs pour la quantité de carbone que les bisons séquestrent, ils pourraient peut-être gagner plus d’argent », suggère Schmitz. La convention REDD+ constitue peut-être un pas en avant vers cet objectif, mais ne concerne cependant que le carbone forestier. De plus, sa mise en œuvre fait encore face à de nombreux défis dans beaucoup de pays.