Une vidéo capturée au large du Costa Rica par le Schmidt Ocean Institute montre l’époustouflante rencontre avec une mère calmar aux yeux noirs (Gonatus onyx) traînant des milliers d’œufs entre ses bras, telle une longue traînée sombre. Il s’agit de l’une des deux seules espèces de calmars connues pour couver ses œufs après la ponte. Cela au détriment de la survie de la mère, qui ne se nourrit pas et reste hautement vulnérable aux prédateurs.
Les calmars aux yeux noirs, ou calmars agates, sont l’une des espèces de céphalopodes les plus répandues dans les océans Pacifiques et Atlantiques. Comme son nom l’indique, elle se distingue par ses grands yeux noirs et globuleux. Son aire de répartition s’étend des côtes du Pacifique, japonaises et californienne aux régions plus au nord comme la mer de Béring. Si les jeunes spécimens occupent les eaux côtières peu profondes, les adultes résident davantage en eaux profondes.
Cependant, la compréhension complète de leur cycle biologique a été longtemps entravée par leur migration à l’âge adulte vers les profondeurs, où les observations sont difficiles. Les scientifiques ont alors initialement supposé qu’à l’instar de la plupart des calmars, G. onyx déposait ses œufs fécondés sur le fond marin et les y laissait se développer. En effet, certains aspects de la biologie des calmars semblent exclure la couvaison. Par exemple, ils subissent généralement une dégénérescence de leur musculature après la maturation sexuelle, ce qui est supposé limiter leur locomotion et les rendre ainsi inadaptés à la protection des œufs.
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Or, en 2005, des chercheurs ont pour la première fois confirmé l’existence d’un processus de couvaison chez G. onyx, en observant plusieurs femelles tenant une grande masse d’œufs entre les bras. Elles ont été observées à des profondeurs allant de 1539 à 2522 mètres dans le Monterey Canyon, au large de la Californie.
La vidéo, tournée lors d’une expédition du Schmidt Ocean Institute, est l’une des rares à montrer l’une de ces femelles G. onyx en pleine couvaison. L’animal a été aperçu au large des côtes costaricaines, au cours de l’une des récentes plongées effectuées dans le cadre du projet Octopus Odessey. Il errait paisiblement dans les eaux sombres des fonds marins, en traînant ses milliers d’œufs traîner dans les eaux. Cependant, le développement des œufs durant entre 6 et 9 mois, cette période de couvaison s’effectue au détriment de la survie de la mère.
Vidéo du spécimen récemment filmé :
Une couvaison s’effectuant au détriment de la survie des femelles
Les mères G. onyx transportent entre leurs bras entre 2000 et 3000 œufs, mesurant chacun 4 à 5 millimètres de diamètre. L’ensemble est enveloppé dans une sorte de grand sac allongé, ouvert à chaque extrémité. Les femelles s’accrochent à l’une de ces ouvertures avec leur bouche, ce qui implique qu’elles ne se nourrissent pas pendant toute la période de couvaison. Cela signifie qu’elles dépendent entièrement de leurs réserves d’énergie tout au long de cette période.
Pour se déplacer, elles utilisent la flottabilité neutre, une technique de nage ne nécessitant presque aucun effort. En d’autres termes, elles restent presque immobiles et se laissent juste dériver dans l’eau. Les seuls mouvements perceptibles sont de très légères contractions des tentacules et des nageoires, qui permettraient d’oxygéner les œufs. Cette quasi-immobilité permettrait à la fois d’économiser de l’énergie et de protéger les œufs.
Toutefois, mis à part le jeûne prolongé, elles sont également beaucoup plus vulnérables aux prédateurs lorsqu’elles couvent leurs œufs. Bien qu’elles le fassent en eaux profondes, les mammifères marins pouvant plonger très profondément (comme les phoques) peuvent tout de même représenter une menace. Si au début de la couvaison elles sont capables de nager très rapidement pour échapper aux prédateurs, cela devient plus difficile à mesure que les œufs mûrissent et qu’elles sont plus affaiblies.
De plus, les mouvements brusques effectués au cours de la fuite peuvent endommager les œufs ou les faire éclore prématurément. Cela a par exemple été observé par les chercheurs de l’expédition de 2005, lorsque la lumière et les mouvements de l’eau induits par leur submersible ont perturbé les femelles.
Selon Brad Seibel de l’Université de Rhode Island, l’un des experts de l’expédition, « une fois qu’ils ont atteint un certain point de développement, la mère est capable de déclencher cette éclosion en réponse à un prédateur potentiel ou à un autre problème, ou simplement lorsqu’ils sont prêts ». Dans le cas où elles parviennent à survivre jusqu’à l’éclosion des œufs, elles seraient si affaiblies qu’elles meurent très probablement peu de temps après, estiment les chercheurs.