Pour la toute première fois, des chercheurs ont créé un gaz unidimensionnel en confinant des atomes de krypton dans des nanotubes de carbone, permettant une observation détaillée des comportements atomiques dans un tel environnement. Cela pourrait à terme mener à la découverte de nouvelles phases de la matière ainsi qu’à une meilleure compréhension de la superfluidité ou de la supraconductivité à des échelles nanométriques.
La compréhension des atomes, ces unités fondamentales constituant la matière, est un enjeu de la science moderne. En effet, l’un des défis auxquels les chercheurs sont confrontés lors de l’imagerie des atomes est leur très petite taille, allant de 0,1 à 0,4 nanomètre. En plus de cela, les atomes peuvent se déplacer à des vitesses extrêmes d’environ 400 m/s en phase gazeuse (plus que la vitesse du son). Cela rend très difficile l’imagerie directe des atomes en action, et la création de représentations visuelles continues d’atomes en temps réel reste l’un des défis majeurs.
Récemment, une équipe de chercheurs de l’Université de Nottingham (Angleterre), en collaboration avec l’Université d’Ulm (Allemagne), a franchi une étape significative dans ce domaine. Leur nouvelle étude, publiée dans l’American Chemical Society, détaille un processus innovant de piégeage d’atomes de krypton à l’intérieur de nanotubes de carbone, formant ainsi un gaz unidimensionnel.
La capture des atomes de krypton pour une observation détaillée
L’exploit réalisé par les chercheurs de l’étude repose sur une technique de pointe en microscopie : la microscopie électronique à transmission (TEM). Cette méthode a permis d’observer avec une précision sans précédent les atomes de krypton se joindre individuellement à l’intérieur de structures extrêmement fines nommées « nanotubes à essai ». Ces tubes, 100 000 fois plus fins qu’un cheveu humain, offrent un environnement confiné où les atomes peuvent être suivis de manière isolée. Cette observation en temps réel constitue une avancée, car elle permet de visualiser le comportement des atomes de krypton dans un espace restreint, une prouesse qui était auparavant hors de portée avec les techniques de microscopie conventionnelles.
Les chercheurs ont utilisé des fullerènes de Buckminster, des molécules en forme de ballon de football composées de 60 atomes de carbone, pour transporter les atomes de Kr individuels dans les nanotubes à essai. La coalescence des molécules de buckminsterfullerène pour créer des nanotubes de carbone emboîtés a contribué à améliorer la précision des expériences.
Le professeur Andrei Khlobystov, de l’Université de Nottingham, explique dans un communiqué : « Le Kr ayant un numéro atomique élevé, il est plus facile à observer dans un MET que les éléments plus légers. Cela nous a permis de suivre les positions des atomes de Kr sous forme de points mobiles ».
Plus précisément, le professeur Ute Kaiser, de l’Université d’Ulm, a utilisé le TEM SALVE, un microscope électronique avancé capable de corriger les aberrations chromatiques et sphériques. Cette technologie a joué un rôle clé dans l’observation des paires d’atomes de Kr. Ces paires se forment lorsque deux atomes de krypton sont liés par l’interaction de Van der Waals, une force subtile, mais fondamentale en chimie. Grâce au TEM SALVE, les chercheurs ont pu non seulement observer ces paires d’atomes, mais aussi mesurer la distance précise entre eux dans l’espace réel.
Un nouveau regard sur les atomes
Lorsque ces atomes de krypton sont confinés dans un espace unidimensionnel, ils manifestent des comportements uniques, offrant aux scientifiques un aperçu précieux des interactions atomiques dans des conditions extrêmes. Les atomes de Kr sortant des cages de fullerène forment une sorte de gaz unidimensionnel. En effet, une fois libérés de leurs molécules porteuses, les atomes de Kr ne peuvent se déplacer que dans une seule dimension le long du canal des nanotubes, en raison de l’espace extrêmement étroit.
En outre, les atomes de krypton, lorsqu’ils sont arrangés en un gaz unidimensionnel, montrent des systèmes atomiques fortement corrélés. Ces systèmes pourraient révéler des propriétés de conductivité thermique et de diffusion jusqu’alors inconnues ou mal comprises.
En nanotechnologie, cette compréhension pourrait conduire au développement de nouveaux matériaux avec des capacités de conductivité thermique améliorées, ouvrant la voie à des avancées dans la fabrication de semi-conducteurs ou de dispositifs de refroidissement.
Vers de nouvelles frontières de recherche
L’un des prochains objectifs de l’équipe de recherche est d’exploiter la microscopie électronique pour examiner les transitions de phase contrôlées par la température et les réactions chimiques au sein de systèmes unidimensionnels. En observant comment les atomes de krypton se comportent à différentes températures dans un espace confiné, les scientifiques pourraient découvrir de nouvelles phases de la matière ou mieux comprendre des phénomènes tels que la superfluidité ou la supraconductivité à des échelles nanométriques.
Sans compter que cette avancée pourrait avoir un impact significatif sur le développement de l’informatique quantique. En effet, les atomes de krypton, une fois piégés, pourraient potentiellement être utilisés comme qubits, les unités de base de l’information dans les ordinateurs quantiques. De plus, cette technologie pourrait aboutir à la production de capteurs ultra-sensibles pour la détection de phénomènes physiques ou chimiques à l’échelle nanométrique.