Un groupe de chercheurs est parvenu pour la première fois à mesurer la gravité à un niveau microscopique, en utilisant un dispositif à base de supraconducteurs dans lesquels ont été induits des champs magnétiques. Si le phénomène de la gravité peut être observé et évalué pour de nombreux objets ordinaires et cosmiques, il n’avait jusqu’ici jamais été mesuré au niveau des particules. Cette avancée pourrait potentiellement découler sur l’insaisissable théorie de la gravité quantique et ainsi permettre d’élucider de nombreux mystères à l’échelle cosmique et subatomique.
La gravité, selon la relativité d’Einstein, a été maintes fois confirmée par le biais d’expériences de laboratoire et d’observations d’objets cosmiques massifs, tels que les trous noirs. Cependant, elle n’a jamais été mesurée au niveau d’objets de la taille d’une particule, ne dépassant pas la masse de Planck (la masse maximale pour une particule, soit environ 22 microgrammes).
Or, les mesures de la gravité à partir des sources conventionnelles ne permettent pas d’étudier les états quantiques. En effet, les particules et les forces à l’échelle microscopique interagissent différemment des objets de plus grande taille. Cela implique que la cohérence quantique (la capacité d’un système à exister simultanément dans plusieurs états) s’amenuise à mesure que la taille du système augmente.
En conséquence, même si trois des quatre forces fondamentales de l’Univers (l’électromagnétisme, la force nucléaire forte et la force nucléaire faible) possèdent chacune leur version quantique, il n’existe pas encore de théorie pour la quatrième : la gravité. Einstein lui-même avait déclaré qu’il n’existait aucune expérience réaliste pour mesurer une version quantique de la gravité. « Pendant un siècle, les scientifiques ont essayé, sans succès, de comprendre comment la gravité et la mécanique quantique fonctionnent ensemble », explique Tim M. Fuchs dans un communiqué de l’Université de Southampton (en Angleterre).
Avec des collègues de l’Université de Leiden (aux Pays-Bas) et de l’Institut de photonique et de nanotechnologie de la Fondation Bruno Kessler (en Italie), Fuchs propose une nouvelle approche qui permettra peut-être de découler sur cette théorie. « Il est important d’isoler la gravité en tant que force de couplage pour des objets aussi petits que possible, ce qui signifie mesurer les forces gravitationnelles et les interactions de manière extrêmement précise », a suggéré l’équipe de recherche dans sa nouvelle étude publiée dans la revue Science Advances.
Des expériences basées sur un système à sustentation magnétique
Depuis peu, des dispositifs basés sur des systèmes mécaniques de lévitation permettent d’effectuer des mesures ultrasensibles pour les forces très faibles. Ils pourraient ainsi être utilisés pour évaluer les forces quantiques à des échelles de masse microscopiques. Cependant, ces technologies sont relativement limitées en matière d’évaluation des états quantiques microscopiques. Dans les systèmes de lévitation optique par exemple, l’échauffement des lasers de piégeage constitue la source de bruit la plus importante, pouvant perturber significativement la cohérence quantique.
Afin de surmonter ces difficultés et isoler correctement la gravité en tant que force de couplage pour des objets microscopiques, les chercheurs de la nouvelle étude ont opté pour un système à sustentation magnétique (permettant de faire léviter un objet par le biais d’un champ magnétique). L’amortissement extrêmement faible de ce type de système, combiné à sa masse relativement élevée et à son fonctionnement dans des environnements cryogéniques à faible bruit, le rend particulièrement adapté à la mécanique quantique. En d’autres termes, la décohérence quantique est largement atténuée avec la sustentation magnétique.
Le dispositif de l’équipe de Fuchs consiste en une combinaison de supraconducteurs alimentés par des champs magnétiques (piégeant les particules), de détecteurs ultrasensibles et d’un système d’isolation avancé composé de ressorts de plusieurs étages et d’un système cryogénique. « Notre nouvelle technique, qui implique des températures extrêmement froides et des dispositifs permettant d’isoler les vibrations des particules, sera probablement la voie à suivre pour mesurer la gravité quantique », explique l’expert.
L’expérience consistait à faire léviter une particule submillimétrique à une température de -273 °C (quelques centièmes de degré au-dessus du zéro absolu), la température hypothétique à laquelle tout mouvement atomique cesserait. Comme expliqué par Fuchs, cette température permet de limiter les vibrations des particules de sorte à pouvoir y mesurer la gravité avec précision. Les résultats ont révélé qu’une particule de 0,43 milligramme pouvait générer une attraction gravitationnelle de 30 attonewtons.
Selon les experts, ces résultats pourraient contribuer à identifier la pièce manquante du puzzle menant à la théorie de la gravité quantique. La prochaine étape consistera notamment à reproduire l’expérience sur des particules de plus en plus petites, jusqu’à atteindre la gravité quantique. « Maintenant que nous avons réussi à mesurer les signaux gravitationnels à la plus petite masse jamais enregistrée, cela signifie que nous sommes enfin sur le point de comprendre comment cela [les 2 formes de gravité] fonctionne en tandem », suggère Fuchs. Il propose même d’unifier toutes les théories expliquant les forces en jeu en une seule et même grande théorie, ce qui permettrait selon lui de comprendre les phénomènes les plus mystérieux de l’Univers, dont ce qu’il se passe à l’intérieur des trous noirs.