Après avoir analysé 62 échantillons de placentas humains, des chercheurs ont révélé qu’ils contiennent entre 6,5 et 685 microgrammes de plastique par gramme de tissu — ce qui est nettement supérieur aux niveaux retrouvés dans le sang. Bien que davantage de recherches soient nécessaires pour en déterminer les impacts sur le développement fœtal, l’analyse met en évidence l’inquiétante propension des déchets plastiques à pénétrer la quasi-totalité de nos organes.
Depuis les années 1950, la production de plastique dans le monde n’a cessé de croître. Cela génère d’énormes quantités de déchets, dont la grande majorité finit dans les décharges. Cela impacte non seulement l’environnement, mais également presque tout organisme vivant sur Terre, y compris l’humain. En effet, les micro- et nanoparticules de plastique issues de la dégradation de ces déchets contaminent l’eau, l’air et le sol et finissent par être ingérées ou inhalées. Une autre étude a par exemple révélé qu’une bouteille d’eau d’un litre peut contenir jusqu’à 240 000 particules de plastique.
« La situation ne fait qu’empirer, et la tendance est qu’elle [la production de plastique] doublera tous les 10 à 15 ans », a indiqué dans un communiqué de l’Université du Nouveau-Mexique (UNM) le professeur Matthew Campen. « Ainsi, même si nous arrêtions ce phénomène aujourd’hui, en 2050 il y aura trois fois plus de plastique en arrière-plan qu’aujourd’hui. Et nous n’allons pas l’arrêter aujourd’hui », a-t-il ajouté. De plus, la demi-vie (le temps nécessaire à la moitié d’un échantillon pour se dégrader) de la plupart des matériaux plastiques varie entre 40 et 300 ans, ce qui signifie que les impacts s’étendent inévitablement sur le long terme.
En analysant la propension du plastique à contaminer notre organisme, des recherches ont précédemment révélé que les particules sont retrouvées dans presque tous nos organes et systèmes, du système cardiovasculaire au cerveau, en passant par les poumons et les intestins. Elles ont même été retrouvées dans les selles des nourrissons et le lait maternel. Plus récemment, des études ont mis en lumière leur présence dans le placenta humain, avec des concentrations augmentant considérablement chaque année.
La présence de particules de plastique dans le placenta est particulièrement troublante, car cet organe ne commence à se développer qu’au cours des 8 derniers mois de grossesse. D’autre part, il constitue une barrière naturelle que l’on pensait auparavant presque impénétrable et qui est censée protéger le fœtus de toute contamination extérieure. La présence de ces particules au niveau du placenta pourrait ainsi représenter une menace pour le développement fœtal.
D’autant plus que les niveaux de micro- et nanoplastique dans l’environnement sont en constante augmentation, ce qui alimente l’inquiétude des chercheurs. « Si la dose continue d’augmenter, on commence à s’inquiéter. Si nous constatons des effets sur le placenta, alors toute la vie des mammifères sur cette planète pourrait être affectée. Ce n’est pas bon », explique Campen.
Afin d’explorer plus avant la question, Campen et ses collègues ont effectué l’analyse la plus avancée et la plus étendue à ce jour des concentrations de particules plastiques dans le placenta humain. « Cette méthode, associée aux métadonnées cliniques, sera essentielle pour évaluer les impacts potentiels des micro- et nanoplastiques sur les issues défavorables de la grossesse », a expliqué l’équipe de recherche dans son document d’étude, disponible dans la revue Toxicological Sciences.
Des impacts potentiels sur le développement fœtal
Dans le cadre de son étude, l’équipe de Campen a utilisé une nouvelle technique analytique pour mesurer les concentrations de micro- et nanoplastiques dans 62 échantillons de placenta. Pour ce faire, les scientifiques ont d’abord traité les tissus avec une sorte de savon, afin de dissoudre les graisses et les protéines. Ensuite, les échantillons « nettoyés » ont été centrifugés à ultrahaute vitesse pour isoler les particules de plastique. Au cours d’un processus de pyrolyse, les dépôts de plastique ont été chauffés à 600 °C, afin d’analyser le gaz de combustion qui en résulte, avec un spectromètre de masse. « L’émission de gaz entre dans un spectromètre de masse et vous donne une empreinte digitale spécifique [pour chaque plastique] », explique Campen.
Les chercheurs ont constaté que chaque échantillon contenait entre 6,5 et 685 microgrammes de micro- et nanoplastiques, par gramme de tissu. Le polymère le plus répandu était le polyéthylène (54 % du plastique présent), utilisé pour fabriquer la plupart des sacs et des bouteilles en plastique. Le polychlorure de vinyle (PVC) et le nylon représentaient environ 10 % du plastique total et le reste était constitué de 9 autres polymères.
Il est important de noter qu’il était jusqu’à présent difficile d’obtenir une quantification exacte des particules plastiques dans les tissus humains. En effet, la plupart des techniques précédentes consistaient à compter le nombre de particules visibles au microscope, ce qui signifie que de nombreux éléments (surtout les nanoparticules) ont pu échapper à la comptabilisation, en raison de leur très petite taille. En revanche, la technique de la nouvelle étude a permis de quantifier la totalité des particules présentes, quelle que soit leur taille.
Toutefois, les grands écarts entre les concentrations retrouvées restent pour le moment incompris. Les chercheurs soupçonnent qu’il pourrait s’agir soit d’une erreur analytique, soit du résultat d’une combinaison de facteurs environnementaux et génétiques ou de variables telles que l’âge de la mère et son mode de vie. D’un autre côté, le placenta reçoit un flux sanguin relativement élevé, ce qui pourrait le rendre plus exposé, par rapport à d’autres organes.
Par ailleurs, les impacts de la présence de ces particules au niveau du placenta ne sont pas clairs. Néanmoins, Campen suggère que cela pourrait expliquer la surprenante augmentation de la prévalence de certaines maladies, telles que les maladies inflammatoires de l’intestin et le cancer du côlon chez les personnes de moins de 50 ans, ainsi que la baisse du nombre de spermatozoïdes. De précédentes expériences sur des souris ont montré que ces particules peuvent affecter le développement cérébral du fœtus. L’équipe de l’UNM prévoit de poursuivre ses recherches pour explorer davantage ces questions.