Un éminent physicien propose une nouvelle théorie dite « postquantique de la gravité classique », selon laquelle il n’y aurait pas besoin de matière noire et d’énergie noire pour expliquer l’expansion de l’Univers et la rotation des galaxies. Selon ce principe, l’espace-temps fluctuerait de manière aléatoire, c’est-à-dire en rupture avec la prévisibilité physique. Bien que controversée, cette théorie pourrait permettre d’unifier la théorie de la gravité d’Einstein et la mécanique quantique.
Selon le modèle standard de la cosmologie, la matière visible ne représente que 5 % de la masse totale de l’Univers, le reste étant constitué d’énergie et de matière noire. De nombreuses observations ont suggéré que l’énergie noire pourrait être à l’origine de l’expansion de l’Univers, tandis que la matière noire explique la rotation des galaxies.
En effet, en se basant uniquement sur l’observation de la matière visible, la gravité devrait normalement s’atténuer avec la distance, par rapport au centre galactique, et la rotation des étoiles devrait ainsi diminuer. Or, le mouvement orbital des étoiles au bord des galaxies ne diminue pas. Les physiciens en ont déduit que leur mouvement est influencé par l’attraction gravitationnelle exercée par la matière noire environnante.
Cependant, malgré ces observations, la véritable nature de la matière noire demeure un mystère. Les expériences, telles que celles menées au Grand collisionneur de hadrons (LHC), n’ont encore jamais permis de l’observer directement. Selon Jonathan Oppenheim, de l’University College de Londres, « en l’absence de toute preuve directe de l’existence de l’énergie noire ou de la matière noire, il est naturel de se demander s’il ne s’agit pas de constructions scientifiques inutiles comme les « sphères célestes », l’éther ou la planète Vulcain, qui ont toutes été remplacées par des explications plus simples et cohérentes ».
En fait, « la gravité a une longue histoire d’illusionnisme », a-t-il expliqué dans une nouvelle étude prépubliée sur arXiv. Dans le cadre de cette dernière, il soulève notamment la possibilité que la matière et l’énergie noire puissent ne pas exister du tout. Selon son nouveau principe appelé « théorie postquantique de la gravité classique », il est possible d’expliquer l’expansion de l’Univers ainsi que le mouvement des galaxies en l’absence de matière noire et d’énergie noire.
L’espace-temps s’écoulant de manière aléatoire ?
La physique moderne repose sur deux principes : la mécanique quantique, régissant les plus petites particules de l’Univers et la relativité générale d’Einstein, régissant notamment la gravité. Plus précisément, toute la matière de l’Univers obéit aux lois de la mécanique quantique, mais le comportement quantique ne peut être observé qu’à l’échelle des molécules et des atomes.
Cependant, ces deux théories comportent de nombreux points de contradiction et sont fondamentalement incompatibles. Les physiciens suggèrent qu’afin de les unifier, la théorie de la gravité selon Einstein doit être modifiée pour être adaptée à la mécanique quantique. Cette approche est notamment explorée dans le cadre de la théorie des cordes et de la gravité quantique à boucles.
En décrivant sa nouvelle théorie, Oppenheim suggère plutôt une approche où la gravité et la mécanique quantique seraient unifiées, tout en préservant le concept classique d’espace-temps selon Einstein. Dans cette vision, l’espace-temps ne serait pas influencé par la mécanique quantique. D’autre part, il s’écoulerait de manière aléatoire, soit en rupture fondamentale avec la prévisibilité de la physique. En d’autres termes, l’espace serait déformé au hasard et le temps fluctuerait de manière imprévisible dans différentes parties de l’Univers.
Cela entraînerait des fluctuations imprévisibles et violentes de l’espace-temps, qui seraient significativement plus importantes que ce qui est normalement prédit par la mécanique quantique. Selon Oppenheim, cela rendrait la masse apparente des objets imprévisible si elle était mesurée avec suffisamment de précision. Selon ce principe, ces fluctuations seraient ainsi suffisamment élevées pour maintenir le mouvement des étoiles au bord des galaxies et provoquer l’expansion de l’Univers (à la place de la matière et de l’énergie noires).
À noter toutefois que cet effet serait négligeable au sein des phénomènes nécessitant une forte interaction gravitationnelle, dont le maintien des planètes en orbite autour du Soleil. Néanmoins, dans des zones à faible gravité (comme les bords d’une galaxie), la fluctuation de l’espace-temps serait suffisamment importante pour représenter cumulativement la majorité de l’énergie dans l’Univers. « Nous montrons que cela peut expliquer l’expansion de l’univers et les courbes de rotation galactique sans avoir besoin de matière noire ou d’énergie noire », a déclaré Oppenheim dans l’une de ses publications sur X.
D’un autre côté, la théorie n’a pas manqué de susciter le scepticisme aux yeux d’autres physiciens, qui remettent notamment en question sa fiabilité ainsi que sa capacité à unifier la mécanique quantique et la gravité selon Einstein. D’autre part, « nous invitons à la prudence, car il existe d’autres preuves indirectes de la matière noire, des calculs supplémentaires et des comparaisons avec les données sont donc nécessaires », a précisé Oppenheim. Ce dernier prévoit de mener différentes expériences avec son équipe afin de continuer à explorer son hypothèse.