L’une des hypothèses suggérées pour expliquer l’origine de la vie avance que cette dernière a débuté lorsque des brins d’ARN primitifs ont commencé à s’autorépliquer spontanément, enclenchant l’évolution darwinienne à l’échelle moléculaire. Pour la première fois, des chercheurs sont parvenus à reproduire une partie de ce processus en laboratoire. Ils ont notamment montré qu’une enzyme d’ARN spécifique peut produire des copies fonctionnelles d’autres brins d’ARN tout en permettant l’émergence de nouvelles caractéristiques au fil du temps.
L’évolution selon Darwin repose sur le fait que les informations (ou traits) héréditaires se propagent de manière sélective. En biologie moléculaire, ces informations sont stockées sous la forme de séquences nucléotidiques, à la fois au sein de l’ARN et de l’ADN. En effet, si l’ADN est idéal pour stocker les informations génétiques, l’ARN peut à la fois coder pour des protéines et emmagasiner des informations. À l’instar de l’ADN, il est constitué de longues séquences nucléotidiques, mais peut également agir comme une enzyme (ou un catalyseur) pour entamer des réactions.
Dans les années 1960, des chercheurs ont suggéré que la vie aurait émergé à partir d’un « monde fait d’ARN ». Il s’agirait d’une période au cours de laquelle de petites molécules d’ARN filandreuses auraient été présentes çà et là sur la Terre primitive. Ces molécules auraient pu servir de catalyseurs pour donner naissance à l’ARN autoréplicatif soutenant la vie. En d’autres termes, les premiers brins catalyseurs auraient produit des copies successives de brins complémentaires. Ces premiers ARN auraient ainsi développé la capacité de catalyser leur propre réplication, en agissant comme des ARN polymérases (une enzyme) dépendants de la présence d’ARN.
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Ces copies doivent être extrêmement précises et conformes à l’original afin de conserver les informations génétiques. Cependant, de légères variations de séquences doivent aussi apparaître progressivement afin de permettre une évolution. Les variantes plus efficaces domineraient alors la population, jusqu’à ce que de nouvelles séquences contenant de meilleures caractéristiques émergent à leur tour. À mesure que les copies se multiplient, des ARN plus longs et plus complexes pourraient ainsi être répliqués, y compris des séquences catalytiques plus élaborées.
Cependant, aucun exemple d’enzyme d’ARN possédant une activité efficace d’ARN polymérase dépendant de l’ARN n’a jusqu’à présent été mis au jour. Pour la première fois, des chercheurs du Salk Institute for Biological Studies (aux États-Unis) sont parvenus à développer une enzyme ARN capable d’entamer des copies fonctionnelles tout en permettant l’émergence de nouvelles variantes séquentielles.
Cette découverte concorde avec l’hypothèse de l’apparition de la vie à partir de l’ARN. « En révélant ces nouvelles capacités de l’ARN, nous découvrons les origines potentielles de la vie elle-même et comment des molécules simples auraient pu ouvrir la voie à la complexité et à la diversité de la vie que nous voyons aujourd’hui », explique dans un communiqué Gerald Joyce, président de l’institut et coauteur de la nouvelle étude, décrite dans la revue PNAS.
Des séquences possédant une capacité évolutive
Afin de découvrir des enzymes d’ARN possédant une activité polymérase, des recherches se sont précédemment concentrées sur les ribozymes (des ARN qui ont la particularité de catalyser une réaction chimique spécifique). En utilisant une technique de sélection et d’évolution dirigées, ces molécules peuvent produire des copies capables d’induire, à leur tour, la réplication d’autres séquences d’ARN. Cependant, elles présentent un important défaut : les copies produites ne sont pas assez précises. Au fil des générations, les erreurs introduites dans les séquences « filles » sont si nombreuses qu’elles perdent entièrement leurs fonctions.
Afin de surmonter ce défi, Joyce et son équipe ont développé un ribozyme polymérase comprenant un certain nombre de mutations clés, lui permettant d’effectuer des copies avec une précision beaucoup plus élevée. Au cours d’une expérience, une technique de pression sélective et croissante a été utilisée pour produire des polymérases plus performantes. Le brin copié était un ribozyme « en tête de marteau » (hammerhead ribozyme, en anglais), un segment d’ARN à la morphologie particulière qui catalyse le clivage ou la jonction de sites spécifiques sur d’autres molécules d’ARN.
Les chercheurs ont constaté que non seulement le ribozyme polymérase produisait avec précision des ribozymes en tête de marteau fonctionnels, mais introduisait également de nouvelles variations dans les séquences produites. Ces nouvelles séquences ont conservé les fonctions du brin initial, mais leurs mutations les ont rendues plus faciles à reproduire. Cela a permis d’augmenter leur capacité à évoluer et les a finalement amenés à dominer la population de ribozymes en tête de marteau du laboratoire.
« Nous nous demandons depuis longtemps à quel point la vie était simple à ses débuts et à quel moment elle a acquis la capacité de commencer à s’améliorer. Cette étude suggère que l’aube de l’évolution aurait pu être très précoce et très simple », explique l’auteur principal de la recherche, Nikolaos Papastavrou, chercheur associé au laboratoire de Joyce.
Par ailleurs, « nous avons vu que la pression de sélection peut améliorer les ARN dotés d’une fonction existante, mais si nous laissons le système évoluer plus longtemps avec des populations plus importantes de molécules d’ARN, de nouvelles fonctions peuvent peut-être émerger », suggère son collègue, David Horning, également coauteur de l’étude.
Selon l’équipe, leurs résultats montrent que de simples molécules d’ARN auraient effectivement pu soutenir l’évolution darwinienne à l’aube de la vie sur Terre. Leur évolution vers des formes plus complexes aurait permis l’émergence des premières cellules, puis des organismes pluricellulaires.