On sait désormais au moins qu’un mélange complexe de divers facteurs est à l’origine de la maladie d’Alzheimer… L’âge, la génétique et l’environnement sont mentionnés fréquemment. Et bien que cette maladie ait été identifiée en 1906, ses principales causes ne sont pas encore clairement définies. Une étude récente propose une nouvelle compréhension de la maladie, suggérant que l’accumulation de graisse dans les cellules cérébrales pourrait en être la cause majeure.
En 2015, Laura Hamilton, chercheuse postdoctorale du centre de recherche du CHUM et Karl Fernandes, chercheur au CRCHUM et à l’Université de Sherbrooke, ont rapporté que des dépôts de graisse engomment le cerveau des patients souffrant d’Alzheimer. En se référant à cette étude, Michael Haney, de l’Université de Pennsylvanie, avance que le ciblage de ces gouttelettes de graisse pourrait déboucher sur des traitements plus efficaces que les médicaments actuels, qui jusqu’à présent se limitant au ciblage des dépôts de protéines amyloïdes. « Cela ouvre une nouvelle voie pour le développement thérapeutique », déclare-t-il.
Depuis des décennies, les chercheurs font face à un problème majeur : ils n’ont pas réussi à cerner exactement l’élément déclencheur de cette maladie neurodégénérative. D’une part, l’explication la plus courante se résume à la dégénérescence du tissu cérébral par l’accumulation anormale de protéines bêta-amyloïdes. D’autre par, une hypothèse suppose que la maladie est provoquée par l’accumulation d’enchevêtrements constitués d’une protéine distincte, appelée Tau. Toutes deux sont neurotoxiques et sont stockées à l’intérieur des cellules nerveuses.
Jusqu’ici, l’hypothèse de l’amyloïde est la plus soutenue. D’ailleurs, des traitements à base d’anticorps, dont l’aducanumab (un anticorps monoclonal injecté par voie sous-cutanée, qui cible la protéine bêta-amyloïde) se sont montrés efficaces pour ralentir la perte de mémoire. C’est aussi la raison pour laquelle durant des décennies, l’accumulation de gouttelettes de graisse dans les cellules immunitaires du cerveau a été une potentielle cause négligée.
Pourtant, Haney précise que « des gouttelettes de graisse peuvent être observées dans le cerveau des personnes décédées de la maladie ». D’ailleurs, Alois Alzheimer (le médecin qui a découvert la maladie au début du XXe siècle) a été le premier à avoir décrit ces gouttelettes, qu’il avait pu observer dans le cerveau d’un patient.
Les mécanismes liant l’APOE4 à Alzheimer (enfin) étudiés sous un autre angle
Dans sa nouvelle étude, publiée dans la revue Nature Medicine, Haney s’est penché sur le facteur le plus alarmant de risque génétique d’Alzheimer : un gène que les chercheurs appellent apolipoprotéine E, ou APOE. Cette protéine joue un rôle important dans le bon fonctionnement des neurones. Elle assure leur détoxification en les débarrassant des déchets lipidiques, qui peuvent devenir nocifs. En effet, l’APOE les collecte et les ramène aux astrocytes afin que ces cellules puissent les détruire. Cependant, si son rôle est aussi important, pourquoi constitue-t-elle une menace ? C’est la question à laquelle les chercheurs tentent de répondre.
Pour y voir plus clair, Haney et ses collègues ont mené une série d’expériences sur ce gène et ses variantes, c’est-à-dire l’APOE, l’APOE2, l’APOE3 et l’APOE4. Les chercheurs ont commencé par utiliser une méthode récente, le séquençage de l’ARN d’une seule cellule. Cette technique permet d’identifier les protéines fabriquées dans les cellules individuelles. Le séquençage de l’ARN a été appliqué à des échantillons de tissus provenant d’individus décédés d’Alzheimer et qui présentaient soient deux copies de la variante APOE4, soit deux copies de la variante APOE3.
Les résultats de cette première expérience ont révélé que les personnes porteuses de la variante APOE4 avaient des niveaux élevés d’une enzyme spécifique au sein des cellules immunitaires du cerveau. C’est ce qui expliquerait l’augmentation des gouttelettes de graisse.
Au cours d’une autre expérience, Haney et son équipe ont cultivé un type de cellule immunitaire cérébrale (la microglie) dans une boîte de Pétri en utilisant des cellules de patients en vie présentant la variante APOE3 ou APOE4. L’application de protéines amyloïdes à ces cellules a provoqué l’accumulation de graisse, notamment sur celles porteuses de la variante APOE4. L’équipe a ainsi tiré la conclusion suivante : l’accumulation d’amyloïde déclenche et augmente en même temps l’accumulation de graisse. En conséquence, cette destruction cellulaire serait à l’origine de la perte de mémoire et de la confusion caractérisant la maladie.
« Des études antérieures ont également montré que d’autres gènes qui augmentent le risque d’Alzheimer ont tendance à être impliqués dans le métabolisme des graisses ou le système immunitaire, ce qui renforce encore l’hypothèse », déclare Haney. De son côté, Irundika Dias, de l’Université d’Aston à Birmingham (Royaume-Uni), qui n’a pas participé à ces études, explique que des expériences antérieures ont suggéré que le métabolisme des graisses dans d’autres types de cellules cérébrales pourrait également jouer un rôle. « Le point commun entre toutes ces découvertes est l’implication du métabolisme des lipides », explique-t-elle.
Des recherches menées par Dylan Williams de l’University College de Londres et ses collègues suggèrent également que des variantes nocives du gène APOE sont à l’origine de plus de trois quarts des cas d’Alzheimer. Ces dernières reposent sur une étude de population basée sur la base de données de l’UK Biobank, qui a enregistré la variante APOE des patients et suivi leurs dossiers médicaux de près. Il a ensuite été démontré que par rapport aux personnes qui possèdent deux copies de la variante la moins à risque, APOE2, celles qui possèdent une ou deux copies des autres variantes étaient près de quatre fois plus susceptibles de contracter la maladie d’Alzheimer, ont-ils rapporté dans leur document d’étude.
Ainsi, D. Williams déclare : « environ 75 % des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ne le seraient pas si nous pouvions intervenir d’une manière ou d’une autre sur cette voie moléculaire ». Peut-on donc espérer le développement d’un traitement permettant d’une manière ou d’une autre de prévenir la maladie dans la majorité des cas ?