Des chercheurs ont réalisé la plus grande cartographie tridimensionnelle de quasars à ce jour, en matière de volume cosmique. Développée à l’aide de « données bonus » collectées par l’observatoire spatial Gaïa, la carte regroupe près de 1,3 million de quasars, dont le plus éloigné de 1,5 milliard d’années (depuis le Big Bang). Ce nouveau catalogue pourrait fournir de précieuses informations sur l’agglomération de la matière noire et l’expansion de l’Univers.
Les quasars sont des objets extrêmement brillants alimentés par des trous noirs supermassifs très actifs. En astrophysique, ils constituent des traceurs clés pour l’étude des structures à très grande échelle. Par exemple, ils résident dans les régions au niveau desquelles la densité de matière noire est la plus élevée. Leur regroupement peut ainsi être utilisé pour mesurer des paramètres cosmologiques relatifs à cette structure.
La corrélation entre les quasars et d’autres traceurs (comme les galaxies) pourrait aussi fournir des mesures telles que les caractéristiques de la matière baryonique. Leurs propriétés permettent également de les utiliser comme des « balises standards » pour mesurer le taux d’expansion de l’Univers. Des théories telles que l’isotropie et l’homogénéité de l’Univers pourraient en outre être explorées à l’aide des quasars.
À cette fin, de nombreuses études ont analysé et catalogué les quasars, dont environ 1 million identifiés à l’aide de données spectroscopiques et plusieurs autres millions à l’aide de données photométriques. Par exemple, la version numéro 16 de la base de données du Sloan Digital Sky Survey (SDSS) comprend un catalogue très complet de 750 414 quasars avec des mesures spectroscopiques du décalage vers le rouge. Le programme Wide-field Infrared Survey Explorer (WISE), quant à lui, a recensé près de 3 millions de quasars, mais avec des mesures photométriques du décalage vers le rouge (moins précis que le précédent).
Cependant, aucun catalogue n’a jusqu’à présent englobé la totalité du ciel et ne contient d’informations précises sur les indices de décalage vers le rouge des quasars recensés. La nouvelle cartographie, détaillée dans The Astrophysical Journal, comble ces lacunes en couvrant le plus grand volume cosmique à ce jour.
« Ce catalogue de quasars est différent de tous les catalogues précédents dans le sens où il nous donne une carte tridimensionnelle du plus grand volume jamais enregistré dans l’Univers », explique dans un communiqué de presse David Hogg, co-développeur de la carte et chercheur principal au Center for Computational Astrophysics du Flatiron Institute et professeur de physique et de science des données à l’Université de New York. « Ce n’est pas le catalogue avec le plus grand nombre de quasars ni celui avec les mesures de quasars de la meilleure qualité, mais c’est le catalogue avec le plus grand volume total de l’Univers cartographié », précise-t-il.
Utilisation des « données bonus » de Gaïa
Afin de réaliser le catalogue, l’équipe de la nouvelle étude a utilisé les données de l’observatoire Gaïa, qui contenaient un échantillon de 6 649 162 candidats quasars avec une pureté estimée à 52 %. « L’échantillon candidat de quasars provenant de Gaïa a été construit dans un souci d’exhaustivité plutôt que de pureté », ont expliqué les chercheurs dans leur rapport. Les sources couvrent la totalité du ciel et possèdent des spectres à basse résolution allant de 330 à 1050 nanomètres.
L’échantillon candidat provient d’observations accidentelles, l’observatoire étant principalement dédié à la cartographie des étoiles de la Voie lactée. Ces observations concernent un grand nombre de « données bonus » incluant d’autres objets, tels que d’autres galaxies et des quasars.
Cependant, « il y a deux problèmes principaux avec cet échantillon brut de Gaïa. Premièrement, l’échantillon contient un grand nombre de contaminants non quasars. Deuxièmement, une fraction importante des estimations du décalage vers le rouge sont des erreurs », ont expliqué les chercheurs. Afin d’éliminer les objets hors cible, les données ont alors été recoupées avec celles de WISE et du SDSS.
Ce recoupement a permis d’identifier un ensemble de 1 295 502 quasars dont le plus éloigné date de 1,5 milliard d’années après le Big Bang. Cela a également permis à l’équipe de créer une nouvelle cartographie de la poussière cosmique, des étoiles et autres objets pouvant entraver la précision des observations des quasars.
Ces nouvelles données constituent une véritable aubaine pour les observations de l’Univers primitif et de la matière noire. « Nous avons pu effectuer des mesures sur la façon dont la matière se regroupe dans l’ Univers primitif, aussi précises que certaines de celles issues de grands projets d’enquêtes internationaux — ce qui est tout à fait remarquable étant donné que nous avons obtenu nos données en tant que bonus du projet Gaïa », estime l’auteure principale de la recherche, Kate Storey-Fisher, de l’Université de New York.
Les chercheurs ont d’ailleurs déjà comparé les nouvelles données avec le fond diffus cosmologique, la source de rayonnements la plus ancienne de l’Univers. Lorsque ces rayonnements nous parviennent, ils sont déviés par le réseau de matière noire qu’ils traversent et qui peut également être cartographié à l’aide des quasars. La comparaison des deux ensembles de données permettrait ainsi de mesurer le taux d’agglomération de la matière noire. « Ce catalogue de quasars est un excellent exemple de la productivité des projets astronomiques », conclut Hogg.
VIDÉO : animation de la carte 3D montrant l’emplacement des quasars depuis notre point d’observation (le centre de la sphère). Les régions vides de quasars sont celles où le disque de notre galaxie bloque la vue. Les quasars avec un décalage vers le rouge plus important sont plus éloignés de nous.