Des chercheurs apportent la première preuve expérimentale de particules semblables à des gravitons, des particules hypothétiques censées « transporter » la gravité. Appelées « modes gravitoniques chiraux (CGM) », il s’agit (dans le cas de cette expérience) d’excitations collectives, dans un matériau semi-conducteur, se comportant comme des particules et montrant des caractéristiques typiques des gravitons. Cette découverte pourrait contribuer à améliorer notre compréhension de l’Univers, en aidant notamment aux travaux « d’unification » potentielle de la relativité générale et de la mécanique quantique.
Le graviton est une hypothétique particule élémentaire qui véhiculerait la gravité. Proposé dans les années 1930, il est principalement théorisé dans les systèmes de gravité quantique. Pour l’analogie, il est comparable à l’élastique d’une fronde qui tient la pierre et qui transporte la force de poussée nécessaire à cette dernière pour l’orienter dans la direction souhaitée. Ainsi, plus il y a de gravitons dans un champ gravitationnel, plus celui-ci est puissant.
Cependant, malgré des décennies de recherches, ces fameuses particules n’ont jamais été détectées. Publiés en 1993, les travaux du physicien Aron Pinczuk (décédé en 2022) ont permis de découvrir celles qui s’en rapprocheraient le plus. En poursuivant ses travaux, son équipe et d’anciens élèves apportent la première preuve expérimentale qui pourrait enfin permettre de découvrir ces insaisissables particules (autrement dit, des indices).
« Notre expérience marque la première justification expérimentale de ce concept de graviton, postulé par des travaux pionniers en gravité quantique depuis les années 1930, dans un système de matière condensée », explique dans un communiqué Lingjie Du, ancien postdoctorant à l’Université de Columbia, aujourd’hui affilié à l’Université chinoise de Nanjing. Les résultats de la recherche ont été publiés dans la revue Nature.
Des caractéristiques spécifiques aux gravitons
Les travaux de Pinczuk suggèrent qu’il est possible de découvrir un type particulier de particule dans un type spécifique de matière condensée appelé « liquide à effet Hall quantique fractionnaire » (FQHE). « Aron a été le pionnier de l’étude des phases exotiques de la matière, y compris les phases quantiques émergentes dans les nanosystèmes à l’état solide, par les spectres d’excitation collective de basse altitude », explique la coauteure de l’étude actuelle, Ursula Wurstbauer, de l’Université de Münster (en Allemagne).
Un liquide FQHE est un système d’électrons qui interagissent fortement les uns avec les autres, à des températures extrêmement basses et avec des champs magnétiques très élevés. En d’autres termes, ce liquide n’est pas uniforme, mais présente des mouvements collectifs d’électrons, ce qui peut donner lieu à d’étranges excitations — semblables à des particules — (les CGM, évoqués en début d’article) en réponse à la lumière.
Ce type de liquide a également été décrit théoriquement à l’aide de la géométrie quantique et de concepts mathématiques s’appliquant aux échelles subatomiques. Cependant, il n’existait jusqu’à présent aucune technique expérimentale permettant de corroborer ces hypothèses. « Du point de vue théorique, l’histoire était assez complète, mais en ce qui concerne les expériences, nous n’en étions vraiment pas sûrs », a déclaré au New Scientist Ziyu Liu, de l’Université de Columbia, qui également contribué à l’étude.
Dans le cadre de leur expérience, Liu et ses collègues ont adapté la technique proposée il y a 30 ans par Pinczuk, appelée « diffusion inélastique résonante à basse température ». Cette technique permet de mesurer la manière dont les photons se déplacent lorsqu’ils interagissent avec un matériau, permettant ainsi d’analyser les propriétés de ce dernier. Cependant, celle de la nouvelle étude utilise un laser polarisé circulairement, au sein duquel les photons possèdent un spin particulier. Lorsque ces photons polarisés interagissent avec une particule CGM (qui possède également un spin), leurs spins changent de manière significative. Pour produire du liquide FQHE et observer ces effets, les chercheurs ont utilisé une surface bidimensionnelle d’arséniure de gallium semi-conductrice.
Ils ont ainsi observé des excitations dont les caractéristiques sont cohérentes avec celles prédites par la géométrie quantique pour les CGM, telles qu’un spin-2 (spin = 2). Ces propriétés n’ont été théorisées que dans les gravitons. En effet, tout comme ces derniers, les CGM sont le résultat de fluctuations métriques quantifiées au sein desquelles l’espace-temps est étiré de manière aléatoire dans différentes directions. Cela suggère que la théorie derrière ces résultats pourrait potentiellement relier la physique des hautes énergies (qui opère aux plus grandes échelles de l’Univers) et la physique de la matière condensée (qui concerne l’étude des matériaux et des interactions atomiques). Cela propose en outre une unification potentielle de deux principes fondamentalement incompatibles : la relativité générale et la mécanique quantique.
Toutefois, il est important de noter que ce système expérimental ne reflète pas l’espace-temps proprement dit. En effet, dans ce cadre, les électrons sont confinés au sein d’un espace bidimensionnel et s’y déplacent beaucoup plus lentement que ceux régis par la relativité. Ce protocole expérimental peut ainsi être utilisé pour certaines théories de la gravité quantique, et non pas pour étudier tous les phénomènes quantiques qui se produisent dans l’espace-temps à l’échelle cosmique. Néanmoins, les experts affirment que la technique de la lumière polarisée pourrait être utilisée avec des liquides FQHE à des niveaux d’énergie plus élevés que ceux explorés dans l’étude — ce qui étend son domaine d’application à d’autres systèmes quantiques.