Un groupe international d’astronomes dévoile l’aperçu le plus détaillé à ce jour des lignes de champ magnétique entourant Sagittarius A* (Sgr A*), le trou noir supermassif au centre de notre galaxie. Obtenue par le biais d’une technique d’imagerie basée sur la lumière polarisée, l’image révèle une structure de champ magnétique étonnamment similaire à celle de M87* — un trou noir plusieurs milliers de fois plus massif. Cette similitude suggère qu’à l’instar de ce dernier, Sgr A* pourrait aussi émettre d’immenses jets de particules sans que l’on ne s’en aperçoive.
La polarisation est une caractéristique des ondes vectorielles (qui peuvent se déplacer dans différentes directions), impliquant une diffusion selon une orientation privilégiée. Les ondes électromagnétiques, telles que les ondes gravitationnelles et la lumière, possèdent toutes deux des propriétés de polarisation.
Lorsque les ondes électromagnétiques sont polarisées, le champ électrique et le champ magnétique oscillent simultanément dans des directions perpendiculaires. Au niveau du plasma lumineux entourant les trous noirs, les particules autour des lignes de champ magnétique peuvent conférer un motif de polarisation perpendiculaire à ce champ. Cet effet permet aux astronomes d’observer des détails qui seraient autrement invisibles avec la lumière non polarisée et de cartographier les lignes du champ magnétique du trou noir.
« En observant la lumière polarisée d’un gaz chaud et incandescent à proximité des trous noirs, nous déduisons directement la structure et la force des champs magnétiques qui guident le flux de gaz et de matière dont le trou noir se nourrit et éjecte », explique dans un communiqué du consortium Event Horizon Telescope (EHT), Angelo Ricarte, du Black Hole Initiative de l’Université Harvard et du Centre d’Astrophysique Harvard & Smithonian. « La lumière polarisée nous en apprend beaucoup plus sur l’astrophysique, les propriétés du gaz et les mécanismes qui se produisent lorsqu’un trou noir se nourrit », ajoute-t-il.
Cependant, contrairement à d’autres trous noirs plus éloignés, les observations de Sgr A* présentent des défis techniques majeurs. En effet, les rayonnements émanant de notre trou noir galactique sont fortement diffusés par le milieu interstellaire, qui est hautement ionisé. Au cours des observations, sa luminosité change rapidement et il n’est pas suffisamment stable pour des captures d’images. « Parce que Sgr A* se déplace pendant que nous essayons de le prendre en photo, il est difficile de construire même l’image non polarisée », explique Geoffrey Bower, de l’Institut d’astronomie et d’astrophysique de l’Academia Sinica (à Taiwan), également membre du consortium EHT.
L’observation de Sgr A* nécessite ainsi des capteurs beaucoup plus sensibles et performants que ceux utilisés par exemple pour M87* (une cible beaucoup plus stable). Ce n’est qu’en 2022 que la première image du trou noir supermassif de notre galaxie a été obtenue, révélant une ressemblance frappante avec M87*. Cela a amené les astronomes à se demander s’ils partageaient d’autres caractéristiques communes, mis à part leur apparence.
Les derniers travaux des experts du consortium EHT effectués dans ce sens révèlent l’image la plus détaillée à ce jour de la structure du champ magnétique entourant Sgr A* en lumière polarisée. Les résultats de la recherche sont détaillés dans deux études distinctes publiées dans The Astrophysical Journal Letters.
Une étonnante similitude avec M87*
Réunissant plus de 300 chercheurs d’Afrique, d’Asie, d’Europe et d’Amérique du Nord et du Sud, le consortium EHT vise à capturer les images de trous noirs les plus détaillées. Pour ce faire, le groupe s’appuie sur un réseau de plus d’une dizaine des plus puissants télescopes au monde, tels que l’Atacama Large Millimeter/submillimeter Array (ALMA), l’Atacama Pathfinder EXperiment (APEX) et le télescope de 30 mètres de l’Institut de Radioastronomie Millimétrique (IRAM). Ces instruments travaillent en tandem pour former un seul et gigantesque télescope virtuel. Le système est relié par des technologies spécialisées, créant ainsi un instrument entièrement nouveau disposant de la résolution angulaire la plus élevée à ce jour.
À noter que des mesures polarimétriques ont précédemment déjà été effectuées pour Sgr A*. Cependant, les outils utilisés ne disposaient pas d’une résolution suffisamment élevée pour produire des images nettes. De son côté, l’image composite du EHT a révélé que le trou noir possède des lignes de champ magnétique intenses et organisées en spirale (en partant de son disque d’accrétion).
Alors que les chercheurs s’attendaient à une différence notable par rapport à M87*, étant donné l’écart de taille et de masse, la structure de leur champ est étonnamment similaire. En effet, M87* fait près de 6 milliards de masses solaires, alimente une galaxie elliptique géante et émet régulièrement de gigantesques flux de particules chargées. En revanche, Sgr A* ne fait « que » 4 millions de masses solaires, réside au centre d’une galaxie spirale proportionnellement modeste et n’émet a priori aucun jet de particules. Cela suggère que cette structure de champ magnétique pourrait être commune à tous les trous noirs supermassifs au centre des galaxies.
En outre, cette similitude pourrait aussi indiquer que Sgr A* émet un jet que nos instruments n’ont encore jamais détecté. Des études antérieures sur M87* ont notamment montré que le champ magnétique qui l’entourait est essentiel à la manière dont il interagit avec la matière qui l’entoure et permet ainsi la génération de jets de particules. Les prochaines améliorations prévues pour le réseau EHT permettront peut-être de mettre ces jets au jour. En attendant, « ces résultats nous permettent d’affiner nos modèles théoriques et nos simulations, améliorant ainsi notre compréhension », conclut Mariafelicia De Laurentis, scientifique adjointe du projet EHT et professeure à l’Université Federico II de Naples.