Une étude révèle que la fonte record de la banquise antarctique en 2023 a entraîné la deuxième plus grande perte de poussins chez les manchots empereurs depuis le début des relevés satellitaires. Les données indiquent qu’un cinquième des colonies a subi un échec de reproduction quasi total. Les prévisions suggèrent que la population totale du manchot empereur pourrait diminuer de 99 % d’ici la fin du siècle si les émissions de gaz à effet de serre continuent d’augmenter.
La banquise côtière est essentielle à la survie des manchots empereurs (Aptenodytes forsteri), servant de plateforme de reproduction, de mue des poussins et d’alimentation. Ils constituent notamment l’espèce de manchot qui se reproduit le plus au sud de la planète, formant de grandes colonies sur la banquise entourant les côtes de l’Antarctique. Leur cycle de reproduction unique rend l’espèce particulièrement vulnérable à la perte de banquise liée au réchauffement climatique.
En effet, pour que les poussins puissent développer un plumage imperméable à la fin de l’été de sorte à résister aux températures glaciales des eaux antarctiques, les manchots adultes se reproduisent au cours de la saison la plus froide (jusqu’à -50 °C) et la moins ensoleillée de l’année. La proximité avec la mer permet également aux adultes d’accéder plus facilement à la nourriture pendant la période de couvaison, qui peut durer jusqu’à neuf semaines.
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Après l’éclosion, les oisillons sont élevés entre fin juillet et mi-août, jusqu’à ce qu’ils perdent leur duvet. La stabilité de la banquise est essentielle pour que les poussins puissent achever leur mue avant leur départ (généralement entre la mi-décembre et début janvier), c’est-à-dire la période où ils commencent à nager en mer et à se nourrir seuls. Si la banquise fond et se désagrège trop tôt, la quasi-totalité de la couvée des colonies risque de se noyer et de geler.
Au cours des sept dernières années, l’étendue de la banquise estivale en Antarctique a diminué de façon inquiétante. Les étés 2022 et 2023 ont connu des baisses record, étant notamment les premières années à enregistrer une superficie de banquise inférieure à deux millions de kilomètres carrés depuis le début des relevés satellitaires. En 2022, la fonte excessive et prématurée de la banquise a conduit au premier échec de reproduction majeur enregistré chez les manchots empereurs.
Les experts du British Antarctic Survey (BAS) rapportent de nouvelles données concernant l’état actuel des colonies, les niveaux de banquise en 2023 ayant été nettement inférieurs à ceux de toutes les années précédentes. « À mesure que le continent se réchauffe, nous voyons la glace se briser plus tôt, entraînant une mortalité plus élevée des poussins. Avec moins de poussins survivants dans de nombreuses colonies, il est probable qu’avec le temps, un certain nombre de sites de reproduction actuels deviennent intenables et que la population globale diminue », explique dans un communiqué du BAS l’auteur principal de la nouvelle étude, Peter Fretwell. Les résultats ont été publiés hier dans la revue Antarctic Science, à l’occasion de la journée mondiale des manchots. Une nouvelle carte des emplacements des colonies de manchots empereurs en 2023 est disponible ici.
Une perte quasi totale des poussins dans 14 colonies
Pour évaluer l’étendue des impacts de la perte rapide de banquise sur les colonies de manchots empereurs, Fretwell a utilisé les données du satellite Sentinel-2 du programme Copernicus. Le dispositif offre une haute résolution temporelle en capturant des images de la côte antarctique plus d’une fois par semaine. Ses archives remontent à 6 ans à compter de 2018.
La résolution spatiale du satellite est de 10 mètres, ce qui permet de suivre l’emplacement des colonies par le biais de la coloration brune que laissent leurs excréments sur la banquise. Si la banquise se désagrège avant la période d’envol des poussins, on peut considérer que l’échec de reproduction de la colonie est très élevé, voire total.
Les analyses du chercheur ont montré que la diminution record de la banquise en fin d’année 2023 a entraîné la perte de presque tous les poussins dans un cinquième des colonies du continent. Sur les 66 colonies répertoriées et rassemblant près d’un quart de millions de manchots, 14 ont enregistré un échec de reproduction impliquant des dizaines de milliers de poussins.
Bien que les pertes soient inférieures à celles de la saison 2022 (qui a enregistré des échecs de reproduction dans 19 colonies), il y aurait globalement une tendance croissante de perte de poussins au cours de la dernière décennie. Si cela se poursuit, la population totale de l’espèce pourrait diminuer de 99 % d’ici la fin du siècle. En d’autres termes, si la tendance actuelle d’augmentation des émissions de gaz à effet de serre se poursuit, l’espèce pourrait être quasi éteinte d’ici 2100.
D’un autre côté, les pertes ont probablement été moins graves que celles de 2022 par ce que les colonies durement touchées alors ont fait preuve d’une étonnante résilience. Certaines se sont déplacées pour trouver des banquises côtières plus stables, tandis que d’autres se sont reproduites sur des icebergs ou des banquises flottant non loin des côtes.
Selon Fretwell, « le fait que nous observions ces adaptations dans les colonies les plus touchées nous donne un certain espoir que les oiseaux puissent réagir à leur environnement changeant et se déplacer pour trouver une banquise plus stable ». Néanmoins, il ne s’agit que d’une solution temporaire et ces oiseaux restent considérablement limités en nombre d’adaptations qu’ils peuvent effectuer, a-t-il précisé. Une perte dramatique de la banquise antarctique pourrait ainsi être fatale pour l’espèce entière…
Vidéo de présentation de l’étude :