Des physiciens proposent une nouvelle expérience qui pourrait révéler la nature quantique de la gravité. Les propositions expérimentales reposaient jusqu’à présent sur l’induction de l’intrication quantique, mais cette dernière se fragilise à mesure que les objets deviennent massifs. Ce nouveau protocole vise à contourner cet obstacle et pourrait enfin permettre de répondre à une question de longue date : la gravité est-elle un phénomène classique ou quantique ?
La gravité est sans doute la plus familière des quatre forces fondamentales, mais également la plus faible à échelle égale. Cette faiblesse implique que sa véritable nature demeure à ce jour mystérieuse. Alors qu’Einstein avançait sa nature classique, d’autres célèbres physiciens, comme Richard Feynman, ont suggéré qu’elle pourrait également être dotée de caractéristiques quantiques.
La résolution de cette question figure parmi les plus grands défis de la physique moderne. Selon Ludovico Lami, physicien mathématicien à l’Université d’Amsterdam et à QuSoft, « la question centrale, initialement posée par Richard Feynman en 1957, est de comprendre si le champ gravitationnel d’un objet massif peut entrer dans une superposition quantique, où il serait dans plusieurs états en même temps ».
Jusqu’à présent, la plupart des propositions expérimentales visant à répondre à cette question reposaient sur l’induction d’intrication quantique entre des objets macroscopiques. Cependant, ces objets ont tendance à perdre leurs caractéristiques quantiques à mesure qu’ils deviennent massifs, ce qui rend extrêmement difficile l’intrication quantique.
Ces expériences consistaient à créer des systèmes d’objets massifs distants, mais liés entre eux (délocalisation quantique). « L’idée principale pour résoudre cette question expérimentalement était de rechercher l’intrication induite par la gravitation, une manière par laquelle des objets massifs distants et liés pourraient partager des informations quantiques », explique Lami. L’existence d’une telle intrication remettrait en question la nature exclusivement classique de la gravité.
L’objet le plus massif au sein duquel une délocalisation quantique a pu être observée est une (grande) molécule beaucoup moins massive que la plus petite « masse source » où un champ gravitationnel a été détecté à ce jour. La source faisait un peu moins de 100 mg, soit plus d’un milliard de milliards de fois plus massive que la molécule en question. Ce constat a découragé les tentatives d’expérimentation pendant des décennies.
Lami et ses collègues de l’Université d’Ulm (en Allemagne) ont tout de même effectué une nouvelle tentative dans ce sens, avec une stratégie expérimentale radicalement différente. « Nous avons soigneusement analysé les exigences expérimentales nécessaires pour mettre en œuvre notre proposition dans une expérience réelle et avons constaté que même si un certain degré de progrès technologique est encore nécessaire, de telles expériences pourraient bientôt être à notre portée », explique l’expert. Leur proposition est décrite dans la revue Physical Review X.
Une expérience excluant le besoin d’intrication quantique
La nouvelle stratégie proposée par l’équipe de Lami ne nécessite ni d’induction d’états quantiques hautement délocalisés ni de générer et de détecter une intrication quantique. Cette expérience pourrait être réalisée par le biais d’un système de deux pendules de torsion, des objets rigides suspendus par des fils et se balançant d’avant en arrière lorsque leurs fils se tordent.
Les pendules ont la forme d’haltères, dont les poids à chaque extrémité pèsent moins d’un gramme. Les deux pendules sont ainsi reliées entre eux par leur attraction gravitationnelle mutuelle. Leurs oscillations sont surveillées par un laser dans des cavités optiques formées par les poids et des miroirs fixes, puis au niveau de détecteurs. La longueur d’onde émise par chaque cavité varie à mesure que les pendules oscillent.
Afin d’assurer que la gravité soit la force dominante au sein du système, un bouclier est positionné au milieu pour supprimer toute interférence électromagnétique et optique potentielle. De plus, la distance séparant les pendules est rigoureusement contrôlée de sorte que leur attraction gravitationnelle soit toujours beaucoup plus forte que la force de Casimir (la force attractive entre deux plaques parallèles conductrices et non chargées) entre eux et le bouclier.Les cavités optiques permettraient aux pendules d’entrer dans états fondamentaux puis dans des états d’oscillation dont l’amplitude est définie au hasard. La gravité présente peut être mesurée dans un laps de temps précis en supposant que l’interaction gravitationnelle présente est de nature quantique. Ensuite, une intervention manuelle les remettrait dans leur état fondamental.
La procédure serait répétée plusieurs fois jusqu’à pouvoir déterminer la probabilité de retrouver le système dans son état fondamental. Si cette probabilité dépasse une limite supérieure calculée pour la gravité classique, cela indiquerait que celle-ci n’est pas classique, mais quantique. Les chercheurs ont notamment établi des limites mathématiques rigoureuses pour le quantum, qu’une gravité classique locale ne devrait pas être capable de surmonter.
« La raison en est que même si l’intrication n’est pas physiquement là, elle est toujours là dans l’esprit, dans un sens mathématique précis. Il suffit que l’intrication ait pu être générée », explique Lami. En d’autres termes, les chercheurs estiment que leur expérience pourrait fonctionner même en l’absence d’enchevêtrement.
Toutefois, la réalisation d’une telle expérience présente des défis techniques majeurs. Néanmoins, les avancées technologiques à venir permettront probablement d’atteindre cet objectif dans un avenir relativement proche. « Nous espérons que notre proposition aidera à concevoir des expériences susceptibles de répondre plus tôt que prévu à cette question fondamentale sur la nature de la gravité », concluent-ils dans leur rapport.