Le développement des technologies basées sur l’intrication quantique est un enjeu majeur de l’ingénierie moderne. La téléportation quantique permettrait de construire des réseaux complexes ultra-sécurisés dans lesquels l’information voyagerait à très grande vitesse ; l’avènement d’un « Internet quantique » en quelque sorte.
Récemment, une équipe chinoise vient de battre un nouveau record de distance concernant la téléportation quantique : des états quantiques ont été téléportés à 1400 kilomètres de distance.
Intrication et téléportation quantique
En physique quantique, deux particules intriquées forment un système unique indissociable indépendamment de la distance les séparant : c’est l’intrication quantique. Les deux particules sont liées l’une à l’autre, c’est-à-dire que leurs états quantiques sont interdépendants. Cet effet est théorisé pour la première fois au début des années 1930 par le physicien Erwin Schrödinger, puis approfondi par les physiciens A. Einstein, B. Podolsky et N. Rosen. Les critiques de ces derniers donneront notamment naissance au paradoxe EPR.
La conséquence directe de cette indissociabilité est que lorsqu’une mesure est effectuée sur la particule A, cette mesure est instantanément répercutée sur la particule B. En d’autres termes, la mesure de l’état de la particule A provoque corrélativement la mesure de l’état de la particule B. Cependant, l’intrication quantique ne peut en aucun cas permettre une communication supra-luminique. En effet, l’incertitude sur la mesure persiste dans l’intrication. Même si la modification d’état d’une particule à l’autre est instantanée, il est impossible de prévoir ce que donnera la mesure de A et la mesure de B. Ces résultats devront nécessairement être communiqués ultérieurement à la vitesse de la lumière.
La téléportation quantique repose sur le phénomène d’intrication quantique. Il s’agit du transfert d’états quantiques entre deux particules intriquées et séparées dans l’espace via la mesure de l’une d’elle. Cette mesure est en réalité une interaction avec une troisième particule ; la téléportation quantique est donc tripartite. La téléportation quantique ne permet ainsi de transférer que des états quantiques ; il est impossible (à tout le moins, pour le moment) de l’utiliser pour transférer de la matière ou de l’énergie. Les sas de téléportation de l’Enterprise sont donc encore bien loin de notre portée.
La persistance de l’intrication : un préalable à la téléportation quantique longue distance
Un réseau Internet basé sur l’intrication quantique doit pouvoir reposer sur des canaux de communications fiables et sur la préservation de l’information. Cependant, cela n’est pas si simple. En effet, les voies de communication telles que les fibres optiques constituent des milieux « parasites » pour les photons se déplaçant à l’intérieur. Les photons subissent ainsi une dégradation de leur état tout au long de leur progression, rendant difficile la mise en place d’une intrication quantique stable menant à une téléportation quantique de bonne qualité.
Une façon de contourner ce problème est donc de passer par un autre milieu tout en vérifiant que l’intrication quantique persiste sur de longues distances. C’est ce qu’a fait une équipe de physiciens chinois en choisissant d’utiliser le vide de l’espace comme milieu de propagation des photons intriqués dans le cadre de l’expérience QUESS (Quantum Experiments at Space Scale), initiée en 2016. Cette décision n’est pas sans fondement : en 2004, des scientifiques avaient déjà démontré que l’atmosphère terrestre constituait un milieu bien plus favorable à la propagation des photons que la fibre optique.
Pour ce faire, les physiciens ont utilisé pour la première fois un satellite, dans le but de produire des photons intriqués ; il s’agit du satellite Mozi, orbitant à environ 500 km de la Terre. Ce satellite a émis, depuis l’espace, un flux de photons intriqués en direction de deux stations terrestres tibétaines situées à 1200 km de distance. Dans leurs résultats publiés sous le titre « Satellite-based entanglement distribution over 1200 kilometers » dans la prestigieuse revue Science le 16 juin 2017 (1), l’équipe chinoise a montré que les photons restaient intriqués tout en étant séparés de 1200 km, une distance 10 fois plus grande que le précédent record de 143 km.
Une téléportation quantique réalisée sur 1400 km
Si la persistance d’états intriqués sur 1200 km émis depuis l’espace a signé un nouveau record spectaculaire, la téléportation quantique quant à elle, restait à son record de 2012, soit une distance de 143 km. Cependant, le 4 juillet 2017 (2), une autre équipe chinoise publie sur arXiv des résultats montrant la téléportation d’états quantiques depuis le sol vers le satellite Mozi de la mission QUESS sur une distance variant de 500 km jusqu’à 1400 km, selon la localisation de Mozi par rapport à la station terrestre émettrice – Ngari au Tibet – située à 4000 m d’altitude (afin d’améliorer la qualité de transmission).
Pour réaliser cette expérience, les chercheurs ont créé des paires de photons intriqués au sol ; l’intrication est réalisée à l’aide d’un laser femtoseconde ultraviolet passant au travers de deux cristaux de bismuth, produisant deux paires de photons intriqués. Puis, un photon de chaque paire a été envoyé au satellite Mozi lorsque celui-ci passait au-dessus de la base.
Ils ont ensuite téléporté (via la mesure) les états quantiques des photons terrestres à leurs analogues intriqués dans l’espace. Sur une période de 32 jours, les physiciens ont ainsi créé et émis plusieurs millions de photons intriqués à une cadence d’environ 4000 paires par seconde.
Enfin, à l’issue de ces 32 jours, l’analyse des résultats a révélé que sur ces millions de paires produites, la téléportation a été un succès pour 911 d’entre elles. Si ce ratio peut sembler faible, il signe cependant une véritable avancée dans le domaine de la téléportation quantique et pose les bases d’un potentiel futur réseau quantique entre sol et espace.
Mais ce n’est pas tout. L’équipe a poussé ses tests encore plus loin en transférant une clé cryptographique, générée à bord de Mozi, au sol en utilisant là aussi la téléportation quantique. Le satellite Mozi embarque en effet un interféromètre à effet Sagnac permettant de créer des paires de photons intriqués qui sont ensuite envoyés sur Terre. La clé cryptographique est une séquence numérique aléatoire de 4 bits, encodée dans un photon de la paire intriquée en modifiant sa polarisation ; l’autre photon étant envoyé sur Terre. Dans leur étude publiée sur arXiv le 3 juillet 2017 (3), les chercheurs ont montré que la clé avait été correctement transmise de Mozi à la station terrestre située à 1200 km de distance.
Le chemin est encore long avant de pouvoir téléporter des informations sur la totalité du globe. Les ratios obtenus représentent certes des records mais demeurent très insuffisants pour bâtir dores et déjà, un réseau mondial. Toutefois, tout semble maintenant indiquer que l’Internet quantique n’est plus hors de portée.