En analysant les cernes d’arbres centenaires, des chercheurs ont constaté que l’été 2023 a été le plus chaud de l’hémisphère Nord au cours des 2000 dernières années. Bien qu’il ait déjà été confirmé par le passé que 2023 a été l’année la plus chaude des relevés à ce jour, les cernes des arbres couvrent des périodes beaucoup plus étendues et offrent des mesures plus précises que les techniques précédemment utilisées, permettant ainsi de constater que le record concerne les 2000 dernières années.
En début d’année, les climatologues ont officiellement confirmé que 2023 a été l’année plus chaude jamais enregistrée depuis le début des relevés météorologiques, principalement en raison des émissions de gaz à effet de serre d’origine anthropique. Les records de chaleur se sont enchaînés et persistent encore cette année avec les mois de février et mars les plus chauds jamais enregistrés.
Des études antérieures ont suggéré que la dernière fois que la planète a fait face à de tels pics de température remonte à 120 000 ans. Cependant, alors que le début des relevés météorologiques (entre 1850 et 1900) est utilisé comme référence pour les modèles climatiques, les enregistrements instrumentaux de l’époque sont à la fois rares et comportent de nombreuses incohérences. Sans compter que la plupart des enregistrements sont limités à certaines régions. Même dans les années 1900, il n’existait que 58 stations météorologiques dans le monde, dont 45 en Europe.
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« De nombreuses conversations que nous avons autour du réchauffement climatique sont liées à une température de référence datant du milieu du 19e siècle, mais pourquoi cette référence ? Qu’est-ce qui est normal dans un contexte climatique en constante évolution, alors que nous ne disposons que de 150 ans de mesures météorologiques ? », s’interroge Ulf Büntgen de l’Université de Cambridge.
D’un autre côté, les modélisations climatiques tentant de couvrir plusieurs milliers d’années se basent sur l’analyse de carottes glaciaires et de sédiments prélevés dans les grands fonds marins. Bien que ces échantillons puissent fournir de précieuses informations sur le passé géologique de la Terre, ceux remontant jusqu’à plus de 100 000 ans ont généralement une résolution (ou niveau de précision) de 300 ans. Ils ne peuvent ainsi pas nous renseigner sur les variations annuelles ou décennales de température.
Dans le cadre de leur nouvelle étude, récemment publiée dans la revue Nature, Büntgen et ses collègues suggèrent que les cernes d’arbres peuvent offrir une bien meilleure résolution. En effet, ces anneaux sont non seulement d’excellents indicateurs de l’âge des arbres, mais peuvent également fournir des informations détaillées sur l’évolution annuelle du climat à mesure qu’ils grandissent.
Un effet El Niño plus intense au cours des 60 dernières années
Pour effectuer leurs analyses, les chercheurs ont sélectionné des spécimens vivants et fossiles de plusieurs milliers d’arbres centenaires vivant en altitude entre les Alpes européennes et les montagnes russes de la région d’Altaï, pour prélever des carottes. Ces arbres sont notamment suffisamment robustes pour survivre longtemps aux variations climatiques et leur croissance estivale est facilement traçable à travers leurs cernes. Ces derniers sont généralement plus larges pendant les années les plus chaudes, tandis qu’ils sont plus fins lors des années plus froides.
En identifiant les 9 chronologies les plus étendues obtenues, les experts ont pu dresser un tableau précis des températures estivales de la région s’étalant sur deux millénaires (en excluant les autres facteurs de variation tels que les maladies). Ces données ont ensuite été comparées avec les relevés modernes.
Il a été constaté que 2023 a effectivement enregistré l’été le plus chaud de l’hémisphère Nord depuis l’apogée de l’Empire romain (au 2e siècle). En plus de dépasser de 0,15 °C le précédent record selon les relevés modernes (en 2016), l’été dernier a été de 0,5 °C plus chaud que la saison la plus chaude (de l’année 246) avant le début de l’industrialisation. En effet, les cernes montrent entre autres que la saison estivale la plus chaude avant le début de l’ère industrielle était celle de l’année 246.
Bien que les résultats ne soient pas surprenants, « lorsque vous regardez la longue période de l’histoire, vous pouvez voir à quel point le réchauffement climatique récent est dramatique », indique Büntgen. « 2023 a été une année exceptionnellement chaude et cette tendance se poursuivra, à moins que nous ne réduisions considérablement les émissions de gaz à effet de serre », affirme-t-il.
Les experts ont également découvert que la plupart des étés les plus chauds indiqués par les cernes des arbres concordent avec les événements El Niño. En effet, bien que ce phénomène ait été signalé pour la première fois par des pêcheurs au 17e siècle, il peut aussi être retracé sur des périodes plus étendues sur les cernes des arbres. Toutefois, ces derniers ont également montré qu’au cours des 60 dernières années, le réchauffement dû aux émissions de gaz à effet de serre a provoqué une intensification du phénomène El Niño, entraînant des étés plus chauds et des sécheresses prolongées.
L’accord de Paris déjà rompu ?
Fait intéressant, les chercheurs ont découvert que la température de référence du 19e siècle utilisée pour contextualiser le réchauffement climatique est de plusieurs dixièmes de degré plus basse qu’on le pensait. En d’autres termes, les températures de l’époque étaient surestimées. En ajustant la référence selon les données basées sur les arbres, ils ont constaté que l’été 2023 dans l’hémisphère Nord était 2,07 °C plus chaud que les étés moyens entre 1850 et 1900. Cela suggère que l’accord de Paris a été rompu il y a plusieurs années déjà.
Toutefois, il est important de noter que ces mesures sont limitées à l’hémisphère Nord et pourraient ainsi ne pas refléter la tendance globale de réchauffement de la planète. Les données basées sur les cernes d’arbres font défaut dans l’hémisphère Sud, car ces derniers diffèrent complètement de ceux des arbres poussant dans les climats tempérés du nord. Par ailleurs, l’hémisphère Sud réagit différemment au réchauffement climatique, car il comporte beaucoup plus d’étendues océaniques. Néanmoins, les experts estiment que ces nouvelles données peuvent constituer un puissant argument supplémentaire en faveur de la réduction des émissions de gaz à effet de serre.