Des astronomes ont observé pour la première fois la « région de plongée » d’un trou noir, la zone où la matière cesse de tourner et plonge directement vers son centre, telle une cascade. Prédite par la relativité générale d’Einstein, il s’agit de la limite intérieure du disque d’accrétion, juste avant l’horizon des événements. Contrairement aux précédentes hypothèses, cette région continue à émettre des rayonnements, ce qui a notamment permis de la détecter.
Lorsqu’un objet ou de la matière se trouve proximité d’un trou noir, il est attiré par la force gravitationnelle de ce dernier et finit par se désintégrer à sa bordure et alimenter ainsi le disque d’accrétion, hautement énergétique, avant d’atteindre l’horizon des événements (le point de non-retour, où rien, ni même la lumière, ne peut échapper à l’attraction gravitationnelle du trou noir). Selon la théorie de la gravité de Newton, la matière devrait continuer à orbiter autour du trou noir jusqu’à ce qu’elle rencontre l’horizon des événements.
Cependant, Einstein avait prédit qu’à une distance suffisamment proche de l’horizon des événements — une zone appelée « région de plongée » —, il devient impossible pour les particules de conserver des orbites circulaires. Elles commencent alors à tomber rapidement vers le centre du trou noir à une vitesse proche de celle de la lumière. Pour l’analogie, le disque d’accrétion est comparable à une rivière qui débouche sur une cascade : la région de plongée. « Si Einstein avait tort, alors tout serait stable jusqu’au bout — il n’y aurait qu’une rivière », explique au New Scientist Andrew Mummery, de l’Université d’Oxford.
D’un autre côté, il existe un débat de longue date concernant la question de savoir si la région de plongée émet ou non des rayonnements, en raison de sa proximité avec l’horizon des événements. Dans le premier cas, la région serait détectable par nos télescopes, tandis qu’elle serait indétectable dans le second cas.
« Avant, nous pensions en quelque sorte que tout ce qui franchissait cette frontière n’aurait pas le temps de rayonner de façon significative avant de plonger dans le trou noir », indique Greg Salvesen du Laboratoire national de Los Alamos au Nouveau-Mexique. En conséquence, la plupart des modélisations omettent les émissions potentielles de rayonnement provenant de l’orbite circulaire stable la plus interne du disque d’accrétion (c’est-à-dire la limite extrême où l’orbite circulaire des particules n’est pas encore perturbée).
L’étude de Mummery et ses collègues met fin au débat en révélant les premières preuves observationnelles de la région de plongée d’un trou noir. « La théorie d’Einstein avance que cette chute finale existe, mais c’est la première fois que nous parvenons à démontrer que cela est bien le cas », indique l’expert dans un communiqué de l’Université d’Oxford. « Jusqu’à présent, nous avons regardé la rivière, et c’est notre premier aperçu de la cascade », ajoute-t-il.
Un rayonnement supplémentaire inattendu
Dans le cadre de leur recherche — détaillée dans le Monthly Notices of the Royal Astronomical Society —, l’équipe de recherche s’est concentrée sur un petit trou noir d’un système binaire appelé MAXI J1820+070 et situé à 10 000 années-lumière de la Terre. Pour ce faire, ils se sont appuyés sur les données des télescopes spatiaux à rayons X Nuclear Spectroscopique Telescope Array (NuSTAR) et Neutron Star Interior Composition ExploreR (NICER) de la NASA, pour analyser son spectre lumineux. Les données ont ensuite été utilisées pour effectuer des simulations de la façon dont la matière se déplace vers sa zone de plongée.
Les données d’observation ont montré que le trou noir émettait un rayonnement légèrement supérieur à ce à quoi on pourrait s’attendre de son disque d’accrétion. Cette luminosité correspondait aux simulations incluant un rayonnement supplémentaire provenant de la région de plongée. Selon les experts, il s’agit ainsi du premier aperçu de la façon dont le plasma du disque d’accrétion du trou noir s’arrête de tourner pour tomber en cascade vers son centre.
Ces résultats fournissent de précieuses informations sur l’un des aspects les plus mystérieux des trous noirs et pourraient ainsi découler sur de nouveaux indices concernant la nature de la gravité et de l’espace-temps. En outre, le rayonnement supplémentaire émanant de la région de plongée permettrait potentiellement d’expliquer les anomalies de vitesse de rotation détectées chez certains trous noirs. Alors que leur rotation est directement corrélée à leur luminosité, ces derniers présentent des vitesses supérieures à la limite théorique.
Par ailleurs, « ce qui est vraiment passionnant, c’est qu’il existe de nombreux trous noirs dans la galaxie et que nous disposons désormais d’une nouvelle technique fiable permettant de les utiliser pour étudier les champs gravitationnels les plus puissants connus à ce jour », suggère Mummery. Plus tard cette année, l’équipe d’Oxford prévoit d’explorer cette piste en étudiant des trous noirs plus grands et plus éloignés, dans le cadre du projet Africa Millimeter Telescope. Ce dernier consiste en l’utilisation d’un nouveau télescope ultraperformant, qui devrait permettre de filmer l’environnement direct des trous noirs.