Les trous noirs primordiaux, de très petits trous noirs qui se seraient formés peu après le Big Bang, figurent parmi les meilleurs candidats pour la matière noire. Cependant, une nouvelle théorie suggère que ces petits trous noirs n’étaient pas suffisamment abondants pour que ce soit le cas, contrairement à ce qu’estiment les modèles. Cela expliquerait notamment le fait que nous n’en avons encore jamais détecté.
L’Univers se serait formé il y a 13,8 milliards d’années dans une explosion cosmique que l’on connaît sous le nom de « Big Bang ». Il s’est ensuite rapidement étendu par le biais de l’énergie noire au cours d’une période appelée « inflation ». Cette étape l’a fait passer d’un état homogène et compact à structuré et diffus. Bien qu’il semble majoritairement composé de vide, sa masse est beaucoup plus élevée que ce qu’on peut expliquer avec la matière ordinaire seule. Bien que sa véritable nature demeure pour le moment mystérieuse, les astronomes ont baptisé cet écart de masse invisible la « matière noire ».
On pense que la matière et l’énergie noires occupent respectivement 25 % et 70 % de la masse totale de l’Univers, tandis que la matière ordinaire n’en occupe que 5 %. Des études ont suggéré que la matière noire pourrait être constituée de trous noirs primordiaux (PHB), d’hypothétiques et très petits objets qui se seraient formés dès les premières fractions de seconde après le Big Bang. Se formant suite à l’effondrement de régions de gaz chaud et dense, ils ne feraient que la taille d’une pièce de monnaie pour une masse équivalente à celle de grands astéroïdes ou de petites planètes.
Ils figurent parmi les candidats de choix pour la matière noire, car ils seraient suffisamment petits pour passer inaperçus, mais assez massifs pour avoir un impact généralisé sur le cosmos. Toutefois, il faut tout de même qu’ils soient assez nombreux pour avoir suffisamment d’influence sur la matière visible. « Nous les appelons trous noirs primordiaux (PBH), et de nombreux chercheurs pensent qu’ils sont de bons candidats pour la matière noire, mais il faudrait qu’il y en ait beaucoup pour satisfaire cette théorie », explique dans un communiqué Jason Kristiano, chercheur à l’Université de Tokyo, au Japon.
Or, il n’existe à ce jour aucune preuve de leur existence, ce qui remet en question leur abondance supposée. Certains chercheurs ont suggéré qu’ils n’ont pas été détectés en raison des limitations techniques. Dans le cadre de leur nouvelle étude, récemment publiée dans la revue Physical Review Letters, Kristiano et son collègue suggèrent en revanche qu’ils ne sont pas aussi nombreux qu’on le pense.
Des mini trous noirs beaucoup moins nombreux qu’on le pensait
En examinant les différents modèles de formation des PBH, l’équipe de la nouvelle étude a constaté que la plupart ne correspondent pas aux observations réelles du fond diffus cosmologique (CMB), les vestiges des premiers rayonnements émis après le Big Bang. Afin de mieux correspondre aux données du CMB, ils ont alors proposé un nouveau modèle basé sur la théorie quantique des champs — une approche décrivant l’évolution des particules et leurs processus d’interaction.
En effet, au début de sa formation, l’Univers était extrêmement compact, plus petit qu’un atome. Puis, l’inflation aurait rapidement augmenté ce diamètre (de 25 ordres de grandeur). Les ondes traversant ce minuscule espace pouvaient avoir une amplitude (ou puissance) relativement grande, mais une longueur relativement courte.
« Ce que nous avons découvert, c’est que ces ondes minuscules mais fortes peuvent se traduire par une amplification autrement inexplicable d’ondes beaucoup plus longues que nous observons dans le CMB actuel », indique le coauteur de l’étude Jun’ichi Yokoyama. Cela serait dû à des cohérences occasionnelles des ondes courtes, qui pourraient être expliquées par la théorie quantique des champs.
Plus précisément, alors que les ondes courtes individuelles montrent des amplitudes relativement faibles, leur rassemblement pourrait remodeler d’autres ondes beaucoup plus longues. Ces fluctuations à petite échelle affecteraient de plus grandes, dont les traces sont détectables au niveau du CMB. « Il s’agit d’un cas rare où une théorie de quelque chose à une échelle extrême semble expliquer quelque chose à l’extrémité opposée de l’échelle », indique l’expert.
Selon les chercheurs, les fluctuations des ondes courtes à forte amplitude dans l’Univers primitif seraient à l’origine des PBH. En appliquant leur nouveau modèle théorique à ces fluctuations, ils ont constaté qu’il en faudrait beaucoup moins que précédemment estimé pour former les structures à grande échelle de l’Univers. Cela suggère également « qu’il devrait y avoir beaucoup moins de PBH que ce qui serait nécessaire s’ils sont effectivement de bons candidats pour les événements de matière noire ou d’ondes gravitationnelles », a déclaré Kristiano. Dans cette vision, si nous n’arrivons pas à les détecter, c’est simplement parce qu’ils sont extrêmement rares.
En prochaine étape, les chercheurs prévoient de tester leur théorie à l’aide des prochains détecteurs d’ondes gravitationnelles ultrasensibles, tels que le Laser Interferometer Space Antenna (LISA), qui devrait être envoyé dans l’espace à bord d’une fusée Ariane 3 d’ici 2035. Les observatoires LIGO aux États-Unis, Virgo en Italie et KAGRA au Japon, se concentrent actuellement sur la détection d’éventuels PBH, ce qui pourrait fournir de précieux indices à l’équipe.