En amenant un nuage d’atomes à une température inférieure au zéro absolu, dite « absolue négative », des physiciens ont constaté qu’ils semblaient présenter un état quantique jusqu’à présent inconnu. À cette température, les atomes pouvaient notamment être organisés selon des motifs géométriques spécifiques et complexes appelés « réseaux de Kagome ». La substance quantique résultante pourrait être une toute nouvelle forme de matière.
Dans les années 1800, Lord Kelvin a défini l’échelle de température en affirmant qu’aucune matière ne peut aller en dessous du zéro absolu (0 Kelvin, soit environ -273,15 °C). Cependant, les physiciens ont découvert plus tard que la température absolue d’un gaz est proportionnelle à l’énergie moyenne des particules qui le composent. La température absolue est la température mesurée à partir du zéro absolu, qui correspond à l’état au cours duquel les particules ne possèdent plus d’énergie cinétique (donc immobiles). Une température plus élevée correspond, quant à elle, à une énergie cinétique donnée.
Cependant, des physiciens ont découvert dans les années 1950 que ce principe n’était pas toujours valable, notamment en raison de la manière dont l’énergie est distribuée entre les atomes. Le zéro absolu correspond à l’état dans lequel les particules ont une entropie minimale. Pour les ensembles d’atomes présentant une température absolue positive, seuls quelques-uns se déplacent avec une énergie cinétique élevée, tandis que la plupart ont un niveau d’énergie faible.
En revanche, cette distribution d’énergie s’inverse lorsque les atomes sont exposés à une température absolue négative. En d’autres termes, ceux se déplaçant avec une énergie cinétique élevée deviennent plus nombreux que ceux possédant une énergie plus faible (entropie maximale). Les particules aux températures absolues négatives possèdent ainsi plus d’énergie que celles aux températures absolues positives. Paradoxalement, les premières sont donc techniquement « plus chaudes » que les secondes. La combinaison des deux ferait circuler l’énergie ou la chaleur des unes (à l’absolu négatif) vers les autres (à l’absolu positif).
En explorant cet étrange état des particules en contrôlant leurs niveaux d’énergie et leurs états quantiques, des chercheurs de l’Université de Cambridge ont découvert que la matière présentait un état inhabituel. Selon les experts, l’expérience n’a été possible qu’en utilisant les principes de la mécanique quantique et non ceux de la thermodynamique. Leurs travaux ont été présentés le 5 juin 2024, à l’occasion de la réunion annuelle de la Division de physique atomique, moléculaire et optique de l’American Physical Society à Fort Worth, au Texas.
Un comportement similaire à l’énergie noire ?
Dans le cadre de son expérience, l’équipe de Cambridge a placé un nuage contenant des milliers d’atomes de potassium dans une chambre à vide, puis les a exposés à une température proche du zéro absolu. Pour ce faire, les chercheurs ont utilisé des lasers et des champs magnétiques. « Nous utilisons des atomes neutres dans des réseaux optiques comme simulateurs quantiques analogiques », ont-ils expliqué dans leur étude. Cela a entre autres permis de contrôler les états quantiques et énergétiques des atomes, de sorte à les amener à une température absolue négative.
À noter que ces mêmes chercheurs ont déjà réalisé une expérience plus ou moins similaire en 2013, en utilisant un gaz quantique ultrafoid composé d’atomes de potassium. Les lasers et les champs magnétiques avaient permis d’arranger les atomes individuels au sein d’un réseau. À des températures absolues positives, les atomes se repoussaient, rendant la configuration instable. En revanche, les températures absolues négatives (induites en ajustant le champ magnétique) les ont amenés à s’attirer entre eux, rendant ainsi le système plus stable.
« Cela fait passer soudainement les atomes de leur état d’énergie le plus stable et le plus bas à l’état d’énergie le plus élevé possible, avant qu’ils ne puissent réagir », a expliqué dans un article de blog de la revue Nature l’un des auteurs de l’étude, Ulrich Schneider, de l’Université de Cambridge. « C’est comme marcher dans une vallée et se retrouver instantanément au sommet d’une montagne », a-t-il ajouté. Les experts en ont déduit que cet état pourrait conduire à une nouvelle forme de matière.
Le protocole de la nouvelle expérience a été amélioré dans ce sens, en incitant les atomes à s’arranger selon des motifs complexes hexagonaux et triangulaires appelés réseaux de Kagome. Les chercheurs ont alors constaté que les atomes pouvaient être amenés à présenter des états quantiques au cours desquels leur énergie provient de l’interaction avec d’autres atomes. Cependant, de façon étonnante, ils ne présentaient aucune énergie cinétique.
Il est intéressant de noter que le gaz exposé à une température absolue négative se comporte de manière similaire à l’énergie noire, la force hypothétique qui serait entre autres responsable de l’accélération de l’expansion de l’Univers et qui s’oppose à l’attraction gravitationnelle. Schneider et ses collègues ont constaté, au cours de leur précédente expérience, que les atomes attirés les uns par les autres doivent normalement être influencés par la gravité, mais ne le sont pas en raison de la stabilité induite par l’absolu négatif. En prochaine étape, les chercheurs prévoient d’explorer plus avant les propriétés exactes de cette nouvelle matière.