En effectuant une simulation détaillée de la formation d’un trou noir supermassif, des chercheurs ont découvert que les champs magnétiques jouent un rôle beaucoup plus important qu’on le pensait jusqu’ici. Alors que l’on estimait que le disque d’accrétion était relativement plat, l’influence du champ magnétique le rendrait plutôt rebondi et rêche.
Lorsque de la matière est attirée par la force gravitationnelle d’un trou noir, celle-ci n’est pas immédiatement absorbée, mais gravite d’abord autour du trou noir en formant un disque d’accrétion. Ce disque émet d’intenses rayonnements, qui permettent d’ailleurs aux trous noirs d’être imagés (la première image indirecte datant de 2019). Cependant, la manière dont ces disques de matière se forment et se comportent reste en partie incomprise.
Des lacunes dans les échelles de simulation
Pour analyser en profondeur les processus cosmologiques complexes, les physiciens ont généralement recours à des simulations informatiques. Ce genre de simulation est généralement basé sur des données paramétriques régissant l’environnement de ces objets, tels que les équations des processus gravitationnels et les interactions moléculaires au sein de la matière environnante.
Par exemple, si un amas de gaz devient suffisamment dense sous l’effet d’un effondrement gravitationnel, les calculateurs déduisent qu’une étoile se forme. Cependant, « si vous pensez simplement que la gravité attire tout et qu’ensuite le gaz accumulé forme une étoile et que les étoiles s’accumulent, vous vous trompez complètement », explique dans un article de blog de l’Institut Technologique de Californie (Caltech) l’astrophysicien théoricien Philip Hopkins.
En effet, de nombreux processus influencent les environnements stellaires. Les étoiles peuvent par exemple émettre des flux de rayonnement pouvant « souffler » le gaz et la matière environnante, ce qui peut modifier la chimie de ces derniers. Les ordinateurs doivent ainsi tenir compte de ces processus, car ils régulent le nombre d’étoiles pouvant se former au sein d’une galaxie.
D’un autre côté, les paramètres physiques à inclure sont différents lorsqu’il s’agit d’échelles plus vastes. Pour les galaxies par exemple, le comportement des atomes et des molécules est extrêmement important. En revanche, pour les disques d’accrétion, la chimie moléculaire peut être intégrée aux simulations de façon négligeable (voire ignorée), car l’environnement est trop chaud pour que les atomes et les molécules puissent exister. Les disques d’accrétion sont ainsi plutôt composés de plasma ionisé.
Toutefois, pour simuler l’ensemble des processus physiques se déroulant au sein du disque d’accrétion d’un trou noir, toutes les échelles doivent être prises en compte. Cependant, « certains codes contenaient la physique nécessaire pour résoudre la partie à petite échelle du problème et d’autres la physique nécessaire pour résoudre la partie plus grande, mais rien ne permettait de faire les deux », indique Hopkins.
Afin de combler ces lacunes, Hopkins et ses collègues ont imaginé et mis au point un nouveau type de simulation combinant pour la première fois les deux échelles. Le projet est né d’une collaboration entre le programme de simulation Feedback in Realistic Environments (FIRE), qui se concentre sur les grandes échelles cosmologiques (comme les collisions galactiques), et STARFORGE, consacré aux échelles plus petites (comme les étoiles individuelles). Leurs résultats sont détaillés dans The Open Journal of Astrophysics.
Des disques d’accrétion bombés
Pour effectuer la simulation, l’équipe de Caltech a utilisé une technique dite « superzoom » avec comme cible un trou noir supermassif. Ils ont notamment développé un programme informatique appelé GIZMO qui adapte le programme FIRE afin qu’il soit compatible avec STARFORGE et vice-versa. « Nous l’avons conçu de manière très modulaire, de sorte que l’on puisse activer et désactiver n’importe quel élément de physique pour un problème donné, mais en faisant en sorte qu’ils soient tous compatibles entre eux », explique Hopkins. La résolution obtenue est 1000 fois supérieure au précédent record de simulation pour ce type d’objet.
La technique d’Hopkins a permis de modéliser le disque d’accrétion d’un trou noir supermassif d’environ 10 millions de fois la masse du Soleil dans l’Univers primitif. La simulation montre un processus au cours duquel un flux de matière est arraché à un nuage protostellaire et commence à tourbillonner autour du trou noir. L’algorithme permet d’observer en détail chaque étape de cheminement du gaz vers le bord du trou noir.
L’équipe a été surprise de constater que les champs magnétiques jouent un rôle beaucoup plus important qu’on le pensait dans la formation du disque d’accrétion. Les physiciens supposaient initialement que la pression thermique (la variation de pression causée par le changement de température du gaz dans le disque d’accrétion) empêchait ces derniers de s’effondrer sous l’influence de la force gravitationnelle du trou noir, tandis que l’influence du champ magnétique serait mineure. Cela donnerait une apparence aplatie au disque d’accrétion.
Cependant, la nouvelle simulation montre que la pression exercée par le champ magnétique est 10 000 fois supérieure à la pression thermique, ce qui fait gonfler le disque. « Nos théories nous disaient que les disques devaient être plats comme des crêpes », explique Hopkins. « Mais nous savions que ce n’était pas vrai, car les observations astronomiques révèlent que les disques sont en fait bombés et veloutés, plutôt comme un gâteau ».
Ces résultats pourraient avoir d’importantes implications sur les prédictions concernant leur masse, leur densité, leur épaisseur, la vitesse à laquelle la matière s’y déplace et même leur géométrie. Le programme GIZMO ouvre également la voie à d’autres simulations où les différences d’échelle font défaut, telles que la fusion de galaxies et la formation des premières étoiles de l’Univers, suggère l’équipe.
Vidéo de présentation de l’étude :