Plusieurs pays d’Europe, y compris la France, ont mis en place des textes de réglementation identiques imposant des restrictions sur l’exportation des ordinateurs quantiques. Les textes concernent les ordinateurs de 34 qubits ou plus, qui seraient susceptibles de représenter une menace pour la sécurité nationale. Cependant, cette décision collective semble davantage découler de discussions internationales tenues secrètes, plutôt que d’un raisonnement scientifique logique et transparent.
Proposés pour la première fois dans les années 1980 pour simuler les équations complexes de la mécanique quantique, les ordinateurs quantiques peuvent exécuter de puissants algorithmes beaucoup plus rapidement qu’un processeur conventionnel. Contrairement aux ordinateurs classiques qui calculent et traitent les informations par le biais de code binaire, les qubits peuvent présenter n’importe quelle combinaison des deux états de base (0 et 1 en même temps, 0, 1, etc.), offrant ainsi une très grande puissance de calcul avec un nombre relativement restreint de qubits.
En vue de leur capacité (surtout à venir), il existe un grand nombre de domaines dans lesquels les ordinateurs quantiques pourraient être plus efficaces que les ordinateurs standards. L’exemple d’application le plus connu est l’algorithme de Shor, qui vise à résoudre le problème de factorisation utilisé dans la majorité de nos systèmes de sécurité informatique.
À terme, les ordinateurs quantiques pourraient ainsi pénétrer n’importe quel système chiffré, ce qui pourrait représenter une menace pour l’environnement cybernétique des gouvernements. Cette menace a d’ailleurs probablement mené à la vague de décisions limitant l’exportation de la technologie dans plusieurs pays de l’Union européenne (France, Espagne et Pays-Bas) ainsi qu’au Royaume-Uni et au Canada.
Une réglementation concernant les ordinateurs de 34 qubits et plus
Pour les trois pays de l’UE, la nouvelle réglementation concerne les ordinateurs quantiques de 34 qubits et plus, dont le taux d’erreur est inférieur à un certain seuil (qui n’a pas été précisé). À noter que même les ordinateurs quantiques les plus avancés sont encore sujets aux erreurs de calcul. De nombreuses recherches sont en cours dans le but de surmonter cette limite. Or, bien qu’aucun des gouvernements ne l’ait affirmé de manière explicite, leur intention semble être de restreindre délibérément le développement de ces ordinateurs.
Bien que la Commission européenne affirme que les membres de l’UE sont libres d’adopter des mesures spécifiques (sur les ordinateurs quantiques) à l’échelle nationale, les termes de restriction sont identiques, ce qui suggère davantage une décision collective. Toutefois, aucune information n’a été révélée quant à la possibilité d’une discussion collective, indiquant ainsi une discussion internationale secrète.
D’un autre côté, ces limites sont fixées à des niveaux susceptibles de représenter un risque pour la cybersécurité, selon un porte-parole de l’ambassade de France à Londres. « Les limites choisies sont basées sur des analyses scientifiques des performances des ordinateurs quantiques », a-t-il déclaré. Le représentant n’a pas précisé si ces analyses seront rendues publiques ou non, ni par quel organisme elles ont été effectuées. Des termes de restrictions identiques ont été adoptés en France, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas et en Espagne en raison de « négociations multilatérales menées depuis plusieurs années dans le cadre de l’Arrangement de Wassenaar », selon lui.
L’Arrangement de Wassenaar est un accord incluant 42 États (les membres de l’UE, le Royaume-Uni, les États-Unis, le Canada, la Russie, l’Australie, la Suisse, …) et établissant des réglementations sur l’exportation de biens ou de technologies susceptibles d’avoir des applications militaires. Les ordinateurs quantiques entrent dans cette catégorie en raison de leur potentiel, à terme, à déjouer les systèmes de chiffrement gouvernementaux. Entre de mauvaises mains, la technologie pourrait par exemple déchiffrer les codes de sécurité pour les missiles nucléaires.
Par ailleurs, en tant qu’adhérent à l’Arrangement Wassenaar, le Canada a également appliqué la restriction de 34 qubits pour les ordinateurs quantiques. En revanche, les États-Unis n’ont fait aucune mention d’une décision similaire, soulevant des questions sur sa position et son implication dans la cybersécurité mondiale. De leur côté, la Belgique et l’Allemagne semblent étudier la question en tant que signataires, elles aussi, de l’Arrangement. Toutefois, là encore, aucune information supplémentaire quant aux raisons et la possibilité d’adoption de la réglementation n’a été divulguée.
Un frein à l’innovation ?
Toutefois, les ordinateurs quantiques actuels ne sont pas encore suffisamment puissants pour une application pratique et encore moins pour représenter une menace pour la cybersécurité des gouvernements. Cela soulève des questions quant à la logique derrière la restriction imposée par la nouvelle réglementation, sans compter le manque de transparence qui entoure la décision. Néanmoins, la réglementation semble constituer une mesure préventive pour atténuer les risques futurs.
D’un autre côté, cette précaution pourrait avoir d’importants inconvénients. La restriction des échanges internationaux pourrait freiner l’innovation et décourager les investisseurs. « En limitant sévèrement les progrès de la recherche dans cette zone grise, on va sûrement étouffer l’innovation », conclut Christopher Monroe, cofondateur de IonQ, une société spécialisée dans l’informatique quantique.