Le 25 et 26 décembre 2022, une étrange aurore incroyablement diffuse et étendue a été observée au-dessus de l’Arctique. Alors que la plupart des aurores sont vivement colorées et forment des motifs clairement visibles dans le ciel, cette aurore était ténue et ne présentait aucun relief distinct. Une récente étude avance qu’il s’agit d’un phénomène rare dû à un flux d’électrons hautement énergétiques provenant directement de la couronne solaire.
Se produisant entre 100 et 300 kilomètres d’altitude, les aurores sont d’impressionnants phénomènes lumineux provoqués par l’interaction entre les particules chargées (des électrons) provenant du Soleil et les atomes et molécules présentes dans notre atmosphère. Ces particules proviennent d’éjections de masse coronale (CME) se produisant suite à une éruption solaire. En atteignant la Terre, elles se déplacent le long des lignes de champ magnétique de la Terre pour s’accumuler vers les pôles au niveau d’une région appelée « queue magnétique ».
Une fois rassemblés, les électrons sont accélérés et entrent en collision avec les atomes et molécules atmosphériques, produisant ainsi de grands panaches de lumière colorés. La couleur bleue indique une interaction avec l’azote, tandis que le vert ou le rouge indiquent une interaction avec les atomes d’oxygène, selon l’altitude. Les aurores peuvent également se produire à des latitudes plus basses selon l’intensité du CME, comme celles de mai dernier.
Cependant, alors que les aurores forment habituellement des motifs vifs et clairement discernables dans le ciel, il existe un type très rare d’aurore qui ne présente aucune variation de luminosité ou de relief. Appelés « aurores de pluie polaire », ces phénomènes n’ont jusqu’ici été observés que très peu de fois par des satellites en orbite.
Identifiée par une équipe du Centre des sciences spatiales et d’ingénierie radio de l’Université des communications électroniques de Tokyo, l’aurore photographiée en décembre 2022 à Longyearbyen, en Norvège, est la première de ce genre à avoir été observée depuis la Terre. Capturée à l’aide d’une caméra EMCCD (All-Sky Electron Multiplying Charge-Coupled Device), elle s’est présentée sous la forme d’une lueur ténue et verdâtre qui s’étendait sur environ 4 000 kilomètres.
Un phénomène favorisé par la diminution temporaire et presque complète du vent solaire
Pour déterminer la nature de l’aurore de 2022, les chercheurs japonais ont analysé les données des capteurs d’image ultraviolets à balayage des satellites météorologiques en orbite polaire de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA). Les analyses de l’équipe ont révélé qu’elle présente toutes les caractéristiques d’une aurore de pluie polaire.
Ce phénomène se produit lorsqu’un « trou » se forme au niveau de la couronne solaire. Plutôt que de se boucler vers le bas, les lignes de champ magnétique qui en résultent s’ouvrent vers l’extérieur. Ainsi, ces lignes de champ magnétique forment en quelque sorte un gigantesque entonnoir partant de la base du trou coronal. Cela provoque une précipitation d’électrons à haute énergie dite « pluie polaire », qui se déplace à environ 800 kilomètres par seconde. En comparaison, les vents solaires se déplacent en moyenne à 400 kilomètres par seconde.
Cela signifie que les aurores de pluie polaire sont provoquées par des électrons voyageant directement depuis la couronne solaire. « La source de cette pluie polaire et de l’aurore de pluie polaire correspondante est constituée d’un flux d’électrons suprathermiques voyageant depuis le Soleil le long de lignes de champ magnétique ouvertes qui relient la calotte polaire terrestre au trou coronal à la surface du Soleil », expliquent les chercheurs dans leur document.
Il est important de noter que ce type d’observation étant extrêmement rare, il a fallu plusieurs années d’études afin d’en identifier la nature. En outre, seules quelques stations d’observation optique au sol sont suffisamment sensibles aux faibles émissions causées par les précipitations de pluie polaire. Sans compter que la résolution spatiotemporelle de l’imagerie satellitaire n’est pas suffisamment élevée pour observer facilement les aurores.
D’autre part, l’aurore a été favorisée par la diminution presque complète et temporaire de la densité du vent solaire. « Les précipitations de pluie polaire intenses ont tendance à se produire lorsque la densité du vent solaire est faible, ce qui signifie que l’interférence de la diffusion de Coulomb avec le déplacement aligné sur le champ des électrons de Strahl du Soleil est minimisée », indiquent les experts. La diffusion de Coulomb se traduit par la force de l’interaction électrique avec les particules chargées, tandis que les électrons de Strahal constituent la composante électronique du vent solaire la plus étroitement alignée avec le champ magnétique du Soleil. De manière simplifiée, le flux d’électrons à haute énergie est parvenu sans encombre jusqu’à la Terre.
Par ailleurs, l’aurore était très étendue et ne présentait aucun relief, car l’entonnoir magnétique provenant du trou coronal solaire couvrait une zone beaucoup large que la calotte polaire terrestre. Selon les chercheurs, il faisait près de 7500 kilomètres de diamètre. En outre, étant donné que les électrons sont hautement énergétiques, l’aurore était entièrement verte en raison de la forte ionisation de l’oxygène présent dans la haute atmosphère. Alors que ces aurores ne sont normalement pas visibles depuis le sol, l’intensité énergétique (plus de 1 keV) du flux d’électrons en a augmenté la visibilité, selon l’équipe. Les résultats de l’étude sont détaillés dans la revue Science Advances.