Des chercheurs ont développé un matériau bioactif permettant de stimuler in situ la régénération de cartilage de haute qualité au niveau des articulations. Le matériau est composé d’un réseau complexe de nanofibres peptidiques et d’acide hyaluronique modifié, imitant l’environnement du cartilage naturel. Lors d’essais sur des modèles ovins (des moutons), une réparation significative a été observée en seulement six mois.
Soumis en permanence à d’importantes tensions mécaniques, le cartilage entourant les articulations s’use avec l’âge. Cette usure peut découler sur des affections douloureuses et invalidantes telles que l’arthrose. Le cartilage est également plus facilement sujet aux lésions chez les personnes effectuant d’intenses activités physiques, comme les sportifs et les manutentionnaires. Cependant, contrairement aux os et à d’autres tissus dans le corps, le cartilage ne possède pas la capacité inhérente de se régénérer.
Les options de traitement actuelles consistent principalement à remplacer les articulations trop endommagées par des prothèses. On estime par exemple que près de 1,3 million d’opérations de remplacement du genou sont effectuées chaque année. D’autres techniques s’appuient sur la transplantation de cartilage, mais l’adhérence des greffons ainsi que la disponibilité de donneurs posent problème.
Une procédure consistant à induire artificiellement des microfractures au niveau de l’os sous-jacent est également utilisée pour stimuler la régénération du cartilage. Cependant, le tissu nouvellement généré est un fibrocartilage (le même qui compose nos oreilles), dont les propriétés mécaniques sont inférieures à celles du cartilage hyalin assurant la souplesse et la fluidité de nos articulations.
Dans le cadre d’une nouvelle étude récemment publiée dans la revue PNAS, une équipe de l’Université Northwestern et de l’Université du Wisconsin-Madison propose une nouvelle technique permettant de régénérer efficacement le cartilage hyalin. « Notre nouvelle thérapie peut induire une réparation dans un tissu qui ne se régénère pas naturellement. Nous pensons que notre traitement pourrait contribuer à répondre à un besoin clinique grave et non satisfait », explique dans un communiqué de l’Université Northwestern Samuel I. Stupp, qui a dirigé la recherche.
Aperçu d’une lésion articulaire non traitée (à gauche) et traitée (à droite) avec le nouveau biomatériau :
Un matériau hybride favorisant la prolifération des cellules cartilagineuses
La nouvelle technique est basée sur l’utilisation d’échafaudages bioactifs servant de support pour la croissance des cellules cartilagineuses. Des études ont précédemment montré que ces structures constituent une alternative prometteuse pour stimuler la régénération du cartilage une fois infiltrées par les cellules natives. Cela permet ainsi d’éviter les manipulations ex vivo coûteuses et chronophages nécessaires aux thérapies cellulaires.
Ces échafaudages sont généralement constitués de polymères naturels ou de polysaccharides tels que l’acide hyaluronique (présent dans le cartilage et le liquide synovial lubrifiant des articulations), permettant ainsi d’imiter l’environnement chimique du cartilage naturel. Ils sont également imprégnés de substances bioactives telles que le facteur de croissance transformant β (TGFβ), une cytokine essentielle à la différenciation et à la croissance cellulaire. Ces matériaux ont favorisé la prolifération des chondrocytes (les cellules arrondies et volumineuses composant le cartilage) lors d’expériences in vitro et sur de petits modèles animaux.
Cependant, rares sont les substances ayant permis de régénérer le cartilage chez des modèles animaux plus grands. En effet, les articulations de ces animaux sont soumises à des contraintes mécaniques plus importantes. Ils permettent ainsi de modéliser plus fidèlement les articulations humaines.
Afin de combler ces lacunes, le nouveau matériau de l’équipe de Stupp combine à la fois un peptide bioactif associé avec le TGFβ et l’acide hyaluronique modifié. « De nombreuses personnes connaissent l’acide hyaluronique, car c’est une substance très utilisée dans les produits de soin de la peau », explique Stupp. « On le trouve également naturellement dans de nombreux tissus du corps humain, notamment dans les articulations et le cerveau. Nous l’avons choisi car il ressemble aux polymères naturels présents dans le cartilage », indique-t-il.
Cette combinaison permet de favoriser l’auto-organisation des nanofibres en réseaux de faisceaux, qui peuvent ensuite servir d’échafaudages stables pour stimuler la prolifération des cellules du cartilage hyalin.
Régénération d’un cartilage plus résistant à l’usure en 6 mois
Afin d’évaluer l’efficacité de leur nouveau matériau, les chercheurs ont sélectionné des moutons présentant des lésions au niveau du cartilage du grasset, une articulation complexe du fémur, du tibia ou de la rotule des quadrupèdes, équivalente au genou chez l’Homme. Plus précisément, ces modèles ont été choisis car la charge mécanique que leurs grassets supportent présente de fortes similitudes avec celle que les genoux humains doivent supporter. Et à l’instar de celui des humains, le cartilage des moutons est extrêmement difficile à régénérer.
Ainsi, « une étude sur un modèle ovin est plus prédictive de l’efficacité du traitement chez l’homme », explique Stupp. « Chez d’autres animaux plus petits, la régénération du cartilage se produit beaucoup plus facilement », ajoute-t-il.
Afin de pouvoir être injecté au niveau des lésions articulaires des moutons, le matériau a été réduit en une substance pâteuse. En entrant en contact avec le calcium de leurs os, elle s’est solidifiée pour former une matrice caoutchouteuse au niveau de laquelle les chondrocytes ont commencé à proliférer. Les nouvelles cellules comblaient les lésions à mesure que l’échafaudage se dégradait progressivement.
Après six mois, une amélioration significative a été observée et la qualité du tissu régénéré était nettement supérieure à celle des modèles témoins. « En régénérant le cartilage hyalin, notre approche devrait être plus résistante à l’usure, ce qui résoudrait le problème de la mauvaise mobilité et des douleurs articulaires à long terme tout en évitant la nécessité d’une reconstruction articulaire avec de gros morceaux de matériau », déclare Stupp.
Les experts estiment qu’à terme, le matériau pourrait être utilisé pour soigner les lésions articulaires lors d’interventions chirurgicales ouvertes. Le traitement pourrait d’ailleurs être plus efficace chez l’Homme étant donné que contrairement aux animaux, nous veillons à une immobilisation temporaire après une opération, ce qui laisse le temps au cartilage de se régénérer correctement. Toutefois, des travaux supplémentaires sont nécessaires afin d’évaluer l’innocuité de la thérapie, avant de pouvoir passer aux essais cliniques.