Le troriluzole, un nouveau médicament expérimental contre Alzheimer, inverse la perte de mémoire et le déclin cognitif chez les souris en intervenant à un stade précoce de la maladie. Il agit notamment en réduisant les niveaux toxiques de glutamate (un neurotransmetteur), limitant ainsi l’hyperactivité des synapses — un phénomène connu pour provoquer des dommages neurologiques. Le traitement pourrait ainsi constituer une option potentiellement prometteuse à la fois pour prévenir et traiter la pathologie à la racine.
Affectant près d’un million de personnes dans le monde, Alzheimer est la forme de démence la plus fréquente (60-70 % des cas). Elle est caractérisée par l’accumulation de plaques de protéines bêta-amyloïdes au niveau des neurones et de l’enchevêtrement de protéines tau, conduisant progressivement à la perte de neurones et au déclin cognitif.
Cependant, alors que l’accumulation toxique de ces protéines est généralement considérée comme à l’origine de la pathogénicité de la maladie, des études ont montré qu’elle est précédée par d’autres processus moléculaires. Un dysfonctionnement des synapses (les structures connectant les neurones entre eux) est par exemple observé avant la perte neuronale. Les symptômes de la maladie sont notamment fortement corrélés à une perte de synapses glutaminergiques (transportant le glutamate), qui jouent un rôle essentiel dans la médiation de la mémoire.
Le glutamate est le principal neurotransmetteur excitateur du cerveau, accaparant plus de 40 % des synapses. Dans certaines régions cérébrales, entre 80 et 90 % des neurones utilisent le glutamate comme neurotransmetteur. Parmi ces dernières figurent par exemple le cortex et l’hippocampe, ce dernier étant essentiel à l’apprentissage et à la mémoire. L’hippocampe est également l’une des premières régions du cerveau à être impactée par la maladie d’Alzheimer.
Cependant, alors que les stades ultérieurs de la maladie sont associés à une diminution des niveaux de glutamate (en raison de la perte de synapses glutaminergiques), les stades précoces sont plutôt caractérisés par une accumulation excessive du neurotransmetteur. Cela engendre une hyperactivité synaptique contribuant aux premiers symptômes de dysfonctionnement cognitif inhérent à Alzheimer. D’autre part, de récentes études ont montré que les protéines bêta-amyloïdes s’accumulent sélectivement au niveau des terminaisons présynaptiques transportant le glutamate, chez les patients Alzheimer.
Des chercheurs de l’Université d’Auburn (en Alabama, aux États-Unis) ont donc supposé qu’un médicament ciblant l’accumulation excessive de glutamate au stade précoce de la maladie pourrait endiguer sa progression vers les stades ultérieurs. Il est important de noter que malgré des décennies de recherche, il n’existe pour le moment aucun traitement curatif contre Alzheimer. Les traitements actuels, ciblant principalement l’accumulation de plaques amyloïdes, en ralentissent uniquement la progression.
Les interventions ciblant les stades moléculaires précoces pourraient potentiellement changer la donne. « En examinant comment les traitements médicamenteux peuvent intervenir tôt dans le processus de la maladie, nous visons à développer des thérapies qui pourraient prévenir ou même guérir la maladie d’Alzheimer », explique dans un communiqué de l’Université d’Auburn Miranda Reed, coauteure principale de la nouvelle étude.
Une intervention aux stades moléculaires précoces de la maladie
Dans le cadre de la nouvelle étude, décrite dans le Journal of Neurochemistry, Reed et ses collègues ont cherché à déterminer si des modèles murins d’Alzheimer précoce présentaient des changements au niveau des transporteurs vésiculaires présynaptiques du glutamate (VGlut1). Les échanges de neurotransmetteurs entre les synapses s’effectuent notamment par le biais de vésicules présynaptiques qui les libèrent dans l’espace situé entre deux synapses (appelé fente synaptique). Plus précisément, les vésicules enrobent les molécules, puis les libèrent en se collant à la membrane présynaptique (de la première synapse) et en y créant une ouverture. Les neurotransmetteurs sont ensuite réceptionnés par les récepteurs (postsynaptiques) situés au niveau de la seconde synapse.
Les chercheurs ont constaté une importante augmentation de VGlut1 chez des souris transgéniques (génétiquement modifiées). Ce constat concorde avec les précédentes observations indiquant que bien que les vésicules diminuent aux stades ultérieurs de la maladie, les patients qui ne présentent encore que des troubles cognitifs légers ont un taux excessif de VGlut1. Cela expliquerait en outre pourquoi les patients souffrant de troubles cognitifs légers possèdent des niveaux très élevés de glutamate et présentent une hyperexcitabilité de l’hippocampe. Cette dernière se produit généralement à la suite d’un stress causé par un choc émotionnel.
La seconde étape de l’étude consistait à déterminer si la réduction des niveaux de glutamate pouvait inverser le déclin cognitif. Pour ce faire, les chercheurs ont administré du troriluzole, un médicament peptidique dérivé du riluzole (un modulateur du glutamate), à des modèles murins d’Alzheimer précoce âgés de 8 mois. De précédents travaux ont montré que le riluzole réduisait la libération du glutamate dans la fente synaptique et améliorait les fonctions cognitives, alors que les niveaux de plaques amyloïdes restaient inchangés.
L’équipe de la nouvelle étude a observé une réduction significative des niveaux de VGlut1 et de glutamate libéré chez les souris traitées au troriluzole, ainsi qu’une diminution de l’hyperactivité synaptique. Ces changements moléculaires ont été accompagnés d’une amélioration notable des fonctions cognitives. En testant les performances cognitives et la mémoire des souris par le biais d’un labyrinthe, celles traitées ont obtenu de bien meilleurs résultats que les souris témoins.
« Ces résultats sont prometteurs, car ils suggèrent que le troriluzole peut protéger le cerveau à un niveau fondamental, en commençant par des changements moléculaires et en améliorant les capacités cognitives », estime Reed. « C’est comme réparer un moteur avant qu’il ne tombe en panne », ajoute-t-elle à titre de comparaison. Toutefois, bien que les résultats soient encourageants, les chercheurs soulignent que davantage de recherches sont nécessaires afin de déterminer la manière dont le composé agit à différents stades de progression de la maladie.