Une étude révèle en détail comment les courants-jets (des vents planétaires rapides soufflant d’ouest en est autour du globe) se déplacent vers les pôles — un phénomène croissant qui dure depuis des décennies et qui serait dû au réchauffement climatique. Il pourrait avoir des répercussions météorologiques majeures sur de nombreuses régions dans le monde, allant de l’aggravation des vagues de chaleur aux sécheresses prolongées.
Les courants-jets (ou « jet stream ») sont des vents rapides circulant au niveau des latitudes moyennes et polaires entre la troposphère et la stratosphère, soit entre 7 et 16 kilomètres d’altitude. Les deux hémisphères du globe possèdent tous deux un courant-jet polaire et un courant-jet subtropical. Se dirigeant d’ouest en est sur plusieurs milliers de kilomètres, ces vents résultent de la rotation de la planète et des différences des conditions de l’air entre les latitudes. Ils se forment notamment au niveau des zones dites « de front », au sein desquelles se rencontrent des masses d’air avec de grandes différences de températures et de pressions.
Les modèles climatiques prédisent depuis longtemps que le réchauffement climatique déplace la trajectoire des courants-jets de chaque hémisphère vers leurs pôles respectifs. En effet, le réchauffement croissant au niveau des latitudes tropicales devrait logiquement déplacer les tempêtes alimentant les courants-jets vers les pôles. Le déplacement de ces derniers vers les pôles devrait ainsi renforcer le gradient de température en haute latitude au cours de ce siècle.
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Cependant, la modélisation de cette tendance de déplacement est entravée par le manque de données, les enregistrements satellites de ces vents étant relativement récents. Les chercheurs estiment que ces enregistrements ne sont devenus suffisamment étendus que récemment pour pouvoir établir des modèles climatiques fiables.
D’un autre côté, la modélisation des déplacements des courants-jets est difficile en raison de la présence d’un autre phénomène appelé « amplification arctique ». Cette dernière se traduit par un réchauffement plus rapide au niveau des latitudes plus élevées par rapport à celles équatoriales, principalement en raison de la diminution des étendues de glace engendrée par le réchauffement. Il en résulte un plus faible gradient de pression atmosphérique, affaiblissant ainsi le courant-jet dans l’hémisphère Nord. Les incertitudes dans les modèles proviendraient en outre de l’utilisation d’ensembles uniques de données statistiques.
En conséquence, il n’existe pas vraiment de consensus concernant la modélisation des tendances passées des déplacements des courants-jets. Des chercheurs de l’University College de Londres (UCL) suggèrent de combler les lacunes en utilisant plusieurs ensembles de données à la fois. « Notre analyse mesure les différences dans la tendance de la position du jet du Pacifique Nord en utilisant différentes statistiques et différents ensembles de données sur les courants-jets », expliquent-ils dans leur étude, publiée dans la revue Geophysical Research Letters.
Un déplacement de 30 à 80 km par décennie
L’équipe de la nouvelle étude a analysé les tendances de déplacement du courant-jet au-dessus de l’océan Pacifique Nord. Pour ce faire, les chercheurs ont utilisé plusieurs ensembles de données sur la vitesse du vent dans la région entre 1980 et 2022. Ce courant joue un rôle clé dans la régulation du climat en Asie de l’est et en Amérique du Nord, en raison de sa connexion avec la trajectoire des tempêtes. Il est à la fois influencé par les tourbillons et les masses d’air chaud tout en présentant un cycle saisonnier important le rapprochant de l’équateur pendant les hivers. La compréhension de ses déplacements au fil des années permettrait ainsi d’évaluer l’évolution du climat au niveau des latitudes moyennes. D’autre part, les chercheurs ont tenu compte des incertitudes précédemment associées à l’estimation de sa position.
Ils ont constaté que la position moyenne du courant-jet du Pacifique Nord entre décembre et février a connu un déplacement statistiquement significatif vers le nord. Ce déplacement était d’environ 30 à 80 kilomètres par décennie. Toutefois, la courte étendue des enregistrements ne permet pas de déterminer avec précision si ce déplacement était plus important que ceux datant d’avant les enregistrements satellites. Néanmoins, ces résultats suggèrent qu’il se poursuivra au cours des décennies à venir et s’étendra sur plusieurs mois supplémentaires, si les tendances actuelles d’émission de gaz à effet de serre persistent.
Ces résultats concordent avec ceux d’une autre étude récente analysant les tendances de déplacement des courants-jets des deux hémisphères. Analysés ensemble, ces courants présenteraient un changement de trajectoire clair vers les pôles entre 1979 et 2019. Le déplacement serait encore plus évident au-dessus des océans australs en raison du trou dans la couche d’ozone au-dessus de l’Antarctique.
Ces changements pourraient avoir des répercussions climatiques majeures pour de nombreuses régions dans le monde, surtout celles dépendant des précipitations apportées par les courants-jets — et au niveau desquelles même un changement d’un degré pourrait avoir des conséquences graves. Le déplacement du courant-jet du Pacifique nord aggraverait par exemple les épisodes de sécheresse dans l’Ouest des États-Unis et dans la Méditerranée, tandis que le déplacement de ceux de l’hémisphère Sud impacterait le Chili, l’Afrique du Sud et l’Australie.
Cependant, les déplacements des courants-jets ne s’effectuent pas partout de la même manière, ont précisé les chercheurs de l’UCL. Ils se déplacent vers les pôles au niveau de certaines régions, tandis qu’ils conservent leurs positions habituelles ou se déplacent plutôt vers l’équateur au niveau d’autres régions. La prochaine étape de recherche est ainsi de savoir si la hausse des températures rend les courants-jets moins stables, ce qui pourrait conduire soit à des épisodes de froid, soit à des périodes de chaleur extrême selon les zones concernées.