Alors qu’on pensait initialement que les adultes souffraient d’une « épidémie de solitude » due à un manque de relations amicales, une enquête effectuée aux États-Unis suggère que cette solitude ne provient pas du manque d’amis, mais plutôt du manque de temps à leur consacrer, qui semble diminuer au fil des années. 75 % des adultes seraient satisfaits de leur nombre d’amis, mais seulement 56 % sont satisfaits du temps passé avec eux.
Les liens d’amitié sont essentiels au bien-être et à la satisfaction de vie. Les amis constituent notamment des sources essentielles de soutien social et atténuent la solitude à toutes les étapes de la vie, depuis la petite enfance jusqu’à la vieillesse. Cela suggère que bien que parfois sous-estimés, les liens d’amitié constituent des éléments clés du tissu social.
Cependant, de récentes enquêtes effectuées aux États-Unis ont montré que les adultes (jeunes et âgés) se sentent de plus en plus seuls. 33 % des adultes de plus de 45 ans souffriraient de solitude, tandis que 25 % de ceux de plus de 65 ans sont socialement isolés — un phénomène qui s’est aggravé avec la pandémie de Covid-19. « Je pense que la pandémie a vraiment montré à quel point l’amitié et l’interaction sociale sont précieuses pour notre bien-être », explique l’auteure principale de la nouvelle étude, Natalie Pennington, dans un article de blog de l’Université d’État du Colorado.
Cependant, les recherches concernant les relations d’amitié sont étonnamment rares par rapport à d’autres relations sociales, telles que les relations familiales ou amoureuses. En effet, il n’existe que très peu d’études se concentrant sur la nature de l’amitié et son impact sur le bien-être.
D’autre part, la définition de l’amitié peut varier considérablement d’une étude à l’autre. Certaines incluent par exemple les membres de la famille, mais excluent les conjoints, tandis que d’autres se concentrent uniquement sur les amis du même sexe. Ces différences peuvent introduire des biais dans les résultats. En outre, demander aux participants de différencier les amis, des amis proches et des meilleurs amis, peut introduire davantage d’incohérences dans les analyses.
Pennington et ses collègues proposent de combler les lacunes en étudiant les relations d’amitié dans leur globalité par le biais d’une enquête pluriannuelle. « Alors que d’autres études se sont concentrées sur les amitiés ‘proches’, nous nous intéressons au réseau social plus large d’une personne, et les résultats nous permettent de mieux comprendre qui nous appelons amis », explique l’experte. Les résultats de l’étude sont publiés dans la revue PLOS ONE.
Un mode de vie moderne empêchant les rencontres régulières
Pour effectuer leur enquête, l’équipe de Pennington a recruté deux cohortes nationales d’adultes américains en 2022 et 2023 et un troisième échantillon comprenant des étudiants issus de trois universités différentes en 2022. Au cours de la première année d’enquête, les participants devaient déterminer ce que l’amitié signifiait pour eux en répondant à des questions ouvertes. Ils devaient également partager trois caractéristiques qui les amèneraient à définir quelqu’un comme étant un ami.
Au cours de la deuxième année, les enquêteurs ont demandé aux participants de déterminer le nombre total d’amis qu’ils pensaient avoir sur une échelle allant de zéro à plus de 51. Cette mesure visait à évaluer les limites supérieures des réseaux d’amis. Si les volontaires n’avaient aucun ami, on leur demandait s’ils avaient des personnes avec lesquelles ils avaient des interactions agréables et régulières.
Les chercheurs ont constaté que les adultes avaient plus d’amis qu’on le pensait initialement. Sur les 6 000 participants interrogés, seuls 1,8 % se considéraient comme sans amis, tandis que 98 % avaient au moins un ami et 58 % avaient 5 amis ou plus. Et bien que les travaux antérieurs les aient souvent exclus, 18 % des participants considéraient les membres de leur famille (frères, sœurs, parents, …) comme étant leurs amis, tandis que 23 % ont inclus leur conjoint parmi leurs amis.
De manière étonnante, 75 % des participants ont déclaré être satisfaits du nombre d’amis qu’ils possédaient, mais seulement 56 % étaient satisfaits du temps passé entre amis tandis que 40 % souhaitaient plus de proximité. D’autre part, 36 % ont déclaré avoir du mal à entretenir leurs amitiés de façon durable, principalement en raison du manque de temps. Bien que les appels téléphoniques et les messages soient fréquents et relativement satisfaisants, les adultes aspireraient à plus d’interactions.
L’amitié entre adultes nécessite en effet beaucoup d’efforts pour organiser des rencontres, ce qui engage à la fois du temps et des ressources que le mode de vie moderne ne permet pas souvent. Ces résultats concordent avec ceux de précédentes études indiquant que les adultes américains passent aujourd’hui moins de trois heures par semaine avec leurs amis, contre plus de six heures il y a dix ans. D’autre part, les groupes (syndicats, groupes religieux, etc.) offrant des occasions de se rencontrer régulièrement ont diminué au fil du temps.
Un phénomène valable pour tous les adultes de tout âge
Par ailleurs, 51 % des participants ont estimé qu’il était difficile de se faire de nouveaux amis, tandis que 61 % ont déclaré qu’il était plus facile de s’en faire à un autre moment de leur vie. Ces déclarations étaient valables à la fois pour les étudiants et les adultes. « Étonnamment, ce phénomène a traversé les âges », explique Amanda J. Holmstrom de l’Université du Michigan, coauteure de l’étude. « Quel que soit votre âge, vous avez toujours l’impression qu’à un autre moment de votre vie, il était plus facile de se faire des amis », indique-t-elle.
Des experts (qui n’ont pas participé à l’étude) suggèrent que pour entretenir durablement une amitié dans la société moderne, il faudrait s’adapter pour être plus flexibles les uns avec les autres. Pour entretenir par exemple une amitié avec de nouveaux parents, il faudrait leur rendre visite plutôt que de les inviter à sortir loin de chez eux, afin de ne pas les perturber dans leurs engagements parentaux.