Une étude pilote incluant 27 personnes révèle que le régime cétogène contribue à atténuer les symptômes de la dépression bipolaire (ou dépression maniaque), suggérant qu’elle pourrait être d’origine métabolique. Les experts en ont déduit que ce problème de santé dévastateur pourrait donc être traité en tant que trouble physique plutôt qu’en tant que trouble de l’humeur, facilitant ainsi potentiellement sa prise en charge.
La dépression bipolaire (également appelée dépression maniaque, trouble bipolaire ou psychose maniaco-dépressive) est caractérisée par des changements d’humeur allant d’un extrême à l’autre. L’humeur « haute » (la phase maniaque) se manifeste par un trop plein d’énergie, tandis que celle « basse » (la phase dépressive) est caractérisée par une intense et soudaine léthargie. « Parfois, les gens n’ont aucune énergie. À d’autres moments, ils en ont tout simplement trop. Ils sont maniaques. Ils n’ont pas besoin de dormir. Ils sont très actifs et font parfois des choses qui ne leur ressemblent pas », explique Danny Smith, directeur du Hub for Metabolic Psychiatry de l’Université d’Edimbourg, au Guardian. Cette fluctuation extrême de l’humeur expose les patients souffrant de ce trouble à un risque élevé de suicide.
Le trouble se manifeste généralement entre 15 et 25 ans et affecte autant les hommes que les femmes. On estime que 1 à 4 % de la population mondiale est maniaco-dépressive. Toutefois, cette statistique n’est peut-être pas exacte en raison de sa tendance à être confondu avec d’autres troubles, tels que le trouble de la personnalité borderline, également caractérisé par une fluctuation extrême des humeurs.
Les causes du trouble incluent une combinaison de facteurs psychologiques, génétiques et environnementaux. Récemment, il a également été suggéré qu’il pourrait être d’origine métabolique. Des études ont notamment montré que les personnes maniaco-dépressives présentaient un métabolisme du glucose anormal et une prédisposition accrue à la résistance à l’insuline et au diabète de type 2. L’hyperinsulinémie pourrait altérer la production d’énergie par les mitochondries au niveau du cerveau, ce qui pourrait conduire aux symptômes fluctuants de la maladie.
« Nous devrions considérer la dépression bipolaire non pas comme un problème émotionnel primaire, mais comme un dysfonctionnement de la régulation énergétique dans le corps », estime Iain Campbell, coauteur de l’étude pilote, qui a contribué à la création du Hub for Metabolic Psychiatry. « C’est une façon très différente de penser la maladie mentale », ajoute-t-il. Étant donné que les cétones peuvent constituer une source d’énergie alternative au glucose, Campbell et ses collègues ont suggéré que le régime cétogène (ou kéto) pourrait aider à stabiliser l’humeur des personnes maniaco-dépressives.
Des symptômes atténués après 8 semaines de régime cétogène
Le régime cétogène consiste à privilégier les aliments riches en graisses et à limiter ceux riches en glucides. Les ingrédients les plus utilisés incluent par exemple l’avocat, les poissons gras (saumon, maquereau, …), les œufs, les légumes à faible teneur en glucides (brocoli, épinards, asperge, …), les noix et les produits laitiers. L’objectif est d’induire une cétose, un processus au cours duquel les mitochondries oxydent préférentiellement les acides gras pour produire des cétones, qui sont utilisés à la place du glucose comme source d’énergie. Couramment utilisé pour la perte de poids, de récentes études ont montré que ce régime peut également induire des changements métaboliques pouvant réduire de 50 % les crises chez les enfants souffrant d’épilepsie pharmacorésistante. Des effets bénéfiques ont également été observés chez les patients souffrant de schizophrénie.
Étant donné que les processus pathologiques de ces troubles présentent des similitudes avec ceux du trouble bipolaire, le régime cétogène pourrait ainsi potentiellement atténuer ses symptômes. Il est notamment suggéré que le régime peut affecter les caractéristiques métaboliques et biochimiques de la dépression bipolaire, telles que la réduction du stress oxydatif et l’amélioration de la fonction mitochondriale.
Pour tester ces hypothèses, Campbell et ses collègues ont invité 27 personnes souffrant de trouble bipolaire à suivre un régime cétogène pendant 8 semaines. Les résultats, publiés dans la revue BJPsych Open, ont montré que 91 % des participants étaient en cétose et présentaient une glycémie normale tout au long de l’expérience. D’autre part, « un tiers d’entre eux a très bien réagi. Leur humeur était plus stable, ils étaient moins impulsifs et leur dépression s’est atténuée », a indiqué Smith. La prochaine étape de l’étude consistera à déterminer pourquoi certains patients ont bien répondu au régime tandis que d’autres non.
Une potentielle implication du rythme circadien
Le Hub for Metabolic Psychiatry aura également pour objectif d’étudier les liens entre la dépression bipolaire et les troubles métaboliques, tels que l’obésité et le diabète, ainsi que la perturbation du rythme circadien. « Les systèmes impliquant l’énergie, le métabolisme et la lumière sont tous interconnectés dans notre corps et l’une des conséquences de leur perturbation est, selon nous, la dépression bipolaire », explique Smith.
En effet, les épisodes dépressifs de nombreuses personnes bipolaires semblent culminer en automne et en hiver, tandis que leurs crises maniaques augmentent généralement au printemps. Cela suggère que la fluctuation des symptômes de la maladie pourrait être liée au rythme circadien. D’autre part, des patients ont déclaré que la lumière et les couleurs ont tendance à déclencher leurs symptômes maniaques au cours de certaines périodes de l’année.
Afin d’explorer ces hypothèses, l’équipe prévoit d’analyser en laboratoire la réponse des cellules rétiniennes des patients bipolaires à la lumière et aux changements de saison. Des technologies radar seront également utilisées pour suivre la dynamique physiologique du sommeil des patients pendant environ 18 mois. Ces analyses permettront d’identifier les variations physiologiques induites par leurs changements d’humeur et, à terme, améliorer la prévention de ces derniers.