Face aux critiques sur les exigences énergétiques croissantes de l’intelligence artificielle, Google a signé lundi un accord historique pour sa transition vers l’énergie nucléaire afin de soutenir les besoins électriques de ses centres de données. Il s’agit du premier contrat d’entreprise au monde portant sur l’achat d’énergie nucléaire produite par de petits réacteurs modulaires, plus économiques et plus simples à déployer.
Pendant de nombreuses années, la consommation énergétique des centres de données mondiaux était relativement stable, même en présence d’une augmentation des charges de travail. Cependant, cette consommation a subitement explosé à partir de 2020, principalement en raison des avancées en intelligence artificielle et de la charge qu’elles représentent pour ces infrastructures. Par exemple, une requête simple sur ChatGPT consomme 2,9 wattheures d’électricité, contre 0,3 wattheure pour une recherche Google.
Selon Goldman Sachs, la technologie pourrait représenter jusqu’à 19 % de la demande énergétique des centres de données d’ici 2028, tandis que la consommation globale de l’IA augmentera de 200 térawattheures par an entre 2023 et 2030. Globalement, les besoins énergétiques des centres de données pourraient croître de 160 % d’ici 2030. Aux États-Unis, ces installations devraient consommer 8 % de l’électricité totale du pays d’ici 2030 (contre 3 % en 2022). Les coûts sociaux liés aux émissions de carbone résultant de cette consommation sont estimés entre 125 et 140 milliards de dollars.
Ces besoins croissants imposent une adaptation, voire une refonte, des réseaux électriques pour accroître la production. Aux États-Unis, cela nécessitera près de 50 milliards de dollars d’investissements uniquement pour les centres de données. En Europe, ce chiffre pourrait dépasser 1 000 milliards de dollars en raison de la vétusté des infrastructures électriques et des crises économiques successives, telles que la pandémie de COVID-19 et la guerre en Ukraine.
Des investissements massifs dans le nucléaire
Pour anticiper ces besoins, les acteurs de l’IA investissent massivement dans les énergies vertes (solaire et éolienne) et le nucléaire. Le mois dernier, Microsoft a conclu un accord avec Three Mile Island pour la production d’énergie nucléaire afin de renforcer les réseaux électriques dans 13 États américains, soumis à de fortes pressions dues à la consommation énergétique des centres de données d’IA. Amazon Web Service a, quant à elle, investi 650 millions de dollars en mars dernier dans un campus de centre de données alimenté au nucléaire, en Pennsylvanie.
À l’instar de ses concurrents, Google a également investi dans le nucléaire (sans divulguer le montant exact) dans le cadre de l’accord récemment signé avec Kairos Power pour assurer les besoins énergétiques de ses centres de données et soutenir les communautés environnantes. « Cet accord contribue à accélérer la mise en place d’une nouvelle technologie permettant de répondre aux besoins énergétiques de manière propre et fiable et de libérer tout le potentiel de l’intelligence artificielle pour tous », explique Michael Terrell, directeur principal du département énergie et climat, dans un article de blog de l’entreprise.
L’objectif est non seulement de fournir une énergie stable et disponible 24 heures sur 24, mais aussi de décarboner les centres de données de l’entreprise ainsi que l’ensemble de ses bureaux. « Cette approche complétera notre utilisation de diverses énergies renouvelables, comme le solaire et l’éolien, et nous aidera à atteindre nos objectifs ambitieux d’énergie sans carbone 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, et de zéro émission nette », précise Terrell.
Une capacité de production de 500 mégawatts
La centrale nucléaire en cours de développement par Kairos Power comprend une série de petits réacteurs modulaires, un format compact et économique qui en facilite le déploiement tout en réduisant les coûts et les délais de construction. « La taille réduite et la conception modulaire peuvent réduire les délais de construction, permettre le déploiement dans davantage d’endroits et rendre la livraison finale du projet plus prévisible », affirme Terrell.
Les réacteurs utilisent du sel de fluorure fondu comme liquide de refroidissement au lieu de l’eau, réduisant ainsi les besoins hydrauliques des centres de données. Par ailleurs, les modules seront alimentés par un système de combustibles à base de céramique en forme de galets, qui transporte plus efficacement la chaleur vers la turbine à vapeur. Ce transfert de chaleur passif permet aux réacteurs de fonctionner à basse pression, diminuant ainsi le risque de fusion.
Le premier module devrait être déployé d’ici la fin de la décennie, la technologie étant encore en attente d’approbation auprès de la Commission de réglementation nucléaire américaine. Ce déploiement sera précédé par une série de démonstrations. Kairos Power a débuté en juillet la construction du réacteur à cet effet dans le Tennessee. D’autres modules commerciaux seront déployés d’ici 2035, générant une puissance totale de 500 mégawatts.
Néanmoins, des observateurs s’inquiètent des risques que ces réacteurs pourraient poser, sans oublier les problèmes liés à la gestion des déchets radioactifs. Il est à noter que le permis de construction de Kairos Power pour sa centrale de démonstration est le premier depuis 50 ans, après la fusion partielle de l’un des réacteurs de Three Mile Island (dans lequel Microsoft a récemment investi) en 1979.
Cependant, Google assure que la technologie modulaire proposée par son fournisseur repose sur un système de sécurité fiable. L’entreprise souligne également les emplois stables et bien rémunérés que la nouvelle centrale pourrait générer : 200 gigawatts de capacité nucléaire nécessiteraient 375 000 travailleurs supplémentaires.