Avec le progrès de la science, les chercheurs sont aujourd’hui capables de synthétiser des biomolécules miroir, comme l’ADN et les protéines. Depuis quelques années, ils travaillent sur la création de bactéries miroir dans le but d’élaborer des thérapies pour les maladies capables de résister aux traitements actuels. Toutefois, une étude de synthèse réalisée par une équipe composée de 38 scientifiques issus de plusieurs disciplines suggère que les recherches sur les bactéries miroir doivent cesser, avant que ces organismes synthétiques ne finissent par échapper à tout contrôle.
Toutes les biomolécules essentielles peuvent exister sous deux formes dites images en miroir. Cependant, tout organisme vivant sur Terre repose exclusivement sur des molécules ayant une configuration spécifique appelée chiralité. Cela signifie que les deux versions d’une même molécule ne sont pas superposables. À l’échelle macroscopique, ce phénomène s’illustre notamment par nos mains, qui sont chirales. Au niveau moléculaire, les nucléotides formant l’ADN et l’ARN présentent une chiralité droitière, tandis que les 20 acides aminés des protéines présentent une chiralité gauchère.
En 2010, des chercheurs ont franchi une étape majeure en créant la première cellule contrôlée par un génome synthétique. S’appuyant sur cette avancée, d’autres équipes se sont lancées dans la production d’organismes artificiels, mais cette fois en inversant leur structure moléculaire. L’idée repose sur la création de molécules qui reproduisent l’image en miroir de leurs homologues naturels.
Des organismes aux risques potentiellement incontrôlables
Des recherches menées dans le laboratoire du professeur Xing Chen ont montré que des bactéries miroir pourraient résister à des environnements extrêmes, faisant entrevoir des applications prometteuses, notamment dans la lutte contre certaines maladies chroniques complexes. Cependant, un collectif de scientifiques, incluant plusieurs lauréats du prix Nobel, s’inquiète des dangers. Dans un rapport de 300 pages, ces experts appellent à un arrêt immédiat des recherches visant à produire des bactéries miroir.
« Toutes les applications pratiques qui nous ont attirés dans ce domaine sont les raisons pour lesquelles il nous terrifie aujourd’hui », déclare Katarzyna Adamala, biologiste synthétique à l’Université du Minnesota, au Scientific American.
Dans leur étude publiée dans la revue Science, les chercheurs expliquent que les bactériophages, des virus qui infectent les bactéries ordinaires, sont incapables d’attaquer ces organismes inversés. Il en va de même pour les prédateurs naturels, comme les amibes, qui ne reconnaissent pas ces bactéries miroir. Cette singularité, qui les rend insensibles aux mécanismes immunitaires, pourrait ouvrir la voie à des infections particulièrement graves et incontrôlables.
Au départ, les scientifiques pensaient que ces bactéries ne pourraient pas survivre dans un environnement dépourvu d’hôtes adaptés. Or, cette récente étude révèle qu’elles pourraient s’alimenter en nutriments issus aussi bien d’hôtes animaux que végétaux. Si ces organismes n’ont pas encore été créés — leur réalisation nécessitant d’importants progrès technologiques et des ressources considérables, les risques apparaissent déjà disproportionnés face aux bénéfices espérés. « Nous jouons avec des forces que nous ne comprenons pas encore totalement », avertissent les auteurs.