Des chercheurs suisses ont développé le premier qubit mécanique entièrement fonctionnel avec un temps de cohérence de 200 microsecondes. Autrement dit, il conserve l’information deux fois plus longtemps qu’un qubit classique. La technique s’appuie sur un tambour microscopique disposé sur une plaque de saphir servant de résonateur mécanique et connecté à un qubit supraconducteur. Ce système hybride permet d’obtenir un qubit mécanique à durée de vie plus longue que le qubit supraconducteur seul.
Les ordinateurs quantiques constituent un domaine de recherche désormais très actif en raison du potentiel des ordinateurs quantiques à résoudre des problèmes inaccessibles aux homologues classiques. Actuellement, la plupart des qubits (ou bits quantiques), les composants par le biais desquels ces machines véhiculent l’information, reposent sur la superposition d’états électroniques.
Cependant, ces qubits sont extrêmement fragiles et ont une très courte durée de vie (temps de cohérence), ce qui limite considérablement leur application. Afin d’améliorer ce temps de cohérence, ces qubits sont créés à partir de plusieurs qubits physiques et doivent être soutenus par des systèmes de correction d’erreurs. Toutefois, les systèmes actuels ne sont pas encore suffisamment robustes pour des applications pratiques.
Les qubits mécaniques pourraient permettre de contourner ces problèmes, car ils n’auraient pas besoin de systèmes de correction d’erreurs. En effet, ils dépendent de la superposition d’états vibrationnels et pourraient, en théorie, posséder des temps de cohérence plus longs que leurs équivalents purement supraconducteurs. En couplant un résonateur à ondes acoustiques à un qubit supraconducteur, l’équipe de l’École polytechnique fédérale de Zurich (ETH) a pour la première fois produit un qubit mécanique fonctionnel. Les détails ont été publiés dans la revue Science.
Un temps de cohérence deux fois plus élevé que celui des qubits supraconducteurs
L’un des principaux défis à la création de qubits mécaniques réside dans leur état énergétique particulier. Les qubits électromagnétiques se comportent de manière anharmonique – les quantités d’énergie entre leurs états électroniques sont inégales –, ce qui facilite leur manipulation en tant que qubits. En revanche, les résonateurs mécaniques fonctionnent de manière harmonique, c’est-à-dire que leurs états vibratoires sont uniformément espacés. Cela rend leur utilisation en tant que qubits pratiquement impossible.
Cependant, ce problème peut être contourné en combinant les résonateurs mécaniques avec des composants anharmoniques, tels que des qubits électromagnétiques. Cependant, le temps de cohérence du qubit mécanique résultant dépend de celui du qubit anharmonique. Par le passé, des chercheurs ont tenté de créer un qubit mécanique en utilisant un nanotube de carbone comme résonateur mécanique et un point quantique comme qubit électromagnétique. Toutefois, le temps de cohérence de ce dernier s’est avéré trop court pour aboutir à un qubit mécanique viable.
Pour créer un qubit mécanique fonctionnel, les chercheurs de l’ETH ont utilisé un microdisque piézoélectrique disposé sur une plaque de saphir servant de résonateur mécanique. Similaire à la membrane d’un tambour, ce dispositif peut entrer dans un état de superposition en vibrant (et en ne vibrant) pas simultanément. Un qubit supraconducteur, disposé sur une seconde plaque de saphir, a été utilisé comme composant anharmonique. Le résonateur hérite ainsi des caractéristiques anharmoniques du qubit supraconducteur, résultant en un qubit mécanique fonctionnel.
Le dispositif hybride correspond à un qubit mécanique avec un temps de cohérence élevé. Selon les chercheurs, les composants mécaniques et supraconducteurs fonctionnent à des fréquences similaires, ce qui permettrait au comportement anharmonique de se maintenir plus longtemps. Et bien que le temps de cohérence du qubit mécanique dépende de celui du qubit supraconducteur, il n’est tout de même pas limité par celui-ci. « Dans notre système, le qubit mécanique a en fait une durée de vie bien plus longue que le qubit supraconducteur », explique Yu Yang de l’ETH Zurich, auteur principal de l’étude, à IEEE Spectrum.
Alors que le temps de cohérence pour un qubit supraconducteur est généralement de 100 microsecondes, le qubit mécanique créé par l’équipe atteint un temps de cohérence d’environ 200 microsecondes. « Même si le qubit mécanique n’est pas au niveau des qubits de pointe existants, il possède déjà un temps de cohérence respectable, et il pourrait permettre de démontrer comment manipuler entièrement un seul qubit », estime Fabio Pistolesi, directeur de recherche au CNRS et à l’Université de Bordeaux, qui n’a pas participé à l’étude.
Les experts estiment en outre pouvoir significativement augmenter ce temps de cohérence en utilisant des conceptions et des matériaux différents. Ils prévoient également de tester la fiabilité de leur qubit mécanique en réalisant des portes quantiques, une étape essentielle à leur mise en pratique. Les qubits mécaniques pourraient également servir au développement de capteurs quantiques très performants.