Découverte : les singes savent quand nous ignorons quelque chose… et nous le font savoir !

Une capacité cognitive appelée «théorie de l’esprit», longtemps considérée comme exclusive aux humains.

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Nyota, 25 ans, l'un des bonobos de l'expérience. | Ape Initiative
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Une expérience sur les bonobos révèle qu’ils peuvent deviner l’ignorance d’autrui et leur communiquer l’information qui leur manque – une capacité que l’on pensait jusqu’à présent spécifique aux humains. Appelée « théorie de l’esprit », cette capacité constitue l’une des bases de nos comportements sociaux les plus complexes, tels que l’enseignement et le langage. Ces travaux suggèrent qu’elle a évolué chez nos ancêtres communs il y a des millions d’années.

La théorie de l’esprit est la capacité à deviner l’état mental d’une autre personne ou les informations dont elle dispose et d’adapter ses actions en conséquence. Les psychologues soutiennent que cette capacité constitue une base essentielle à la coopération sociale pour atteindre un objectif commun. Cela permet par exemple de gérer ensemble des situations sociales complexes.

« La capacité à détecter les lacunes dans les connaissances des autres est au cœur de nos comportements sociaux les plus sophistiqués, essentielle à la manière dont nous coopérons, communiquons et travaillons ensemble de manière stratégique », explique dans un article de blog Chris Krupenye, professeur adjoint de psychologie et de sciences du cerveau à l’Université Johns Hopkins.

Des études suggèrent que les grands singes possèdent eux aussi cette capacité, du moins dans une certaine mesure. Des chimpanzés sauvages ont été observés communiquer entre eux en fonction de l’état mental du récepteur. Ils ont par exemple émis plus de vocalisations d’avertissement en faveur des membres du groupe qui ignoraient la présence d’un prédateur.

Cependant, la question de savoir s’il s’agit réellement d’une forme de théorie de l’esprit reste débattue. « Étant donné que cette théorie de l’esprit soutient de nombreuses capacités qui rendent les humains uniques, comme l’enseignement et le langage, beaucoup pensent qu’elle est absente chez les animaux », explique Krupenye.

« Mais ces travaux démontrent les riches fondements mentaux que partagent les humains et les autres primates, et suggèrent que ces capacités ont évolué il y a des millions d’années chez nos ancêtres communs », affirme l’expert en référence à la nouvelle étude, récemment publiée dans la revue PNAS.

Une capacité à anticiper les connaissances des autres ?

Des explications alternatives ont été proposées pour expliquer le comportement des grands singes ressemblant à des théories de l’esprit dans la nature. Par exemple, ils pourraient simplement vocaliser plus fort en réponse au comportement d’autres membres du groupe ou être tout simplement excités par la situation.

Des expériences dans des environnements contrôlés et non menaçants sont donc nécessaires afin de déterminer s’il s’agissait bien de théories de l’esprit ou non et si cette capacité peut se manifester dans d’autres contextes. Ces environnements sont également essentiels pour isoler les signaux spécifiques auxquels les sujets pourraient être sensibles.

Dans cette optique, les chercheurs ont testé si les bonobos (Pan paniscus) pouvaient identifier l’ignorance d’un partenaire et adapter leur communication en conséquence. Pour cela, ils ont travaillé avec trois bonobos mâles résidant dans l’enceinte d’Ape Initiative (une ONG de recherche et d’éducation) : Nyota, 25 ans, Kanzi, 43 ans et Teco, 13 ans.

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Dispositif expérimental pendant les essais de connaissance et d’ignorance du point de vue du bonobo. E1 a observé l’appâtage à travers une fenêtre d’observation dans les essais de connaissance (A), mais pas dans les essais d’ignorance (B). Le fait que le bonobo ait spontanément pointé du doigt son partenaire connaisseur ou ignorant a été enregistré dans une fenêtre de réponse de 10 secondes. © Townrow et al.

Au cours de l’expérience, l’un des bonobos était assis en face de l’un des chercheurs avec une table au milieu. Sur la table se trouvaient trois gobelets avec une friandise cachée sous l’un d’eux. Parfois, le chercheur savait où elle se trouvait et d’autres fois non. La différence avec le jeu des gobelets que nous connaissons est que ceux-ci sont immobiles.

Le bonobo ne pouvait avoir la friandise que si son partenaire parvenait à la trouver pour lui. Le chercheur devait à chaque fois demander où se trouvait la friandise, qu’il en connaisse ou non l’emplacement, puis attendre 10 secondes pour que le bonobo le lui indique.

Si les bonobos savaient que leur partenaire était au courant de l’emplacement de la friandise, ils restaient généralement assis sans bouger et se contentaient d’attendre qu’on la leur donne. En revanche, quand le chercheur ne connaissait pas l’emplacement, ils s’empressaient de l’indiquer, parfois de manière très enthousiaste.

« Leurs doigts pointaient directement à travers le maillage, ce qu’ils essayaient de communiquer était clair », affirme Krupenye. « L’un d’eux, Kanzi, qui était très motivé par la nourriture, pointait du doigt à plusieurs reprises dans certaines phases de l’expérience. Il tapait plusieurs fois pour attirer notre attention et il insistait beaucoup ».

Ces résultats suggèrent que les singes possèdent une forme de théorie de l’esprit, car ils peuvent tenir compte simultanément de deux perspectives contradictoires. D’un côté, ils savent exactement où se trouve la nourriture, tandis que d’un autre côté, ils savent quand la vision de leur partenaire par rapport à la même situation ne tient pas compte de cette information.

Toutefois, il est important de noter que l’expérience n’inclut que 3 sujets et pourrait ne pas nécessairement refléter les capacités des plus grands groupes. Sans compter qu’il est peu probable que le contexte du gobelet se produise dans la nature. En outre, l’un des bonobos avait tendance à pointer très souvent la nourriture, quelle que soit la circonstance.

« Ce que nous avons montré ici, c’est que les singes communiquent avec un partenaire pour influencer son comportement, mais une question clé ouverte pour des recherches ultérieures est de savoir si les singes indiquent également de changer l’état mental de leur partenaire ou ses croyances », explique Luc Townrow, auteur principal de l’étude et doctorant à l’Université Johns Hopkins. L’équipe prévoit d’explorer plus avant les véritables motivations des bonobos et la manière dont ils perçoivent l’état d’esprit d’autres individus.

Source : PNAS

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