Une avancée technologique récente pourrait changer notre façon de consommer du contenu audio : les « enclaves sonores ». Des chercheurs américains ont mis au point un dispositif capable de diffuser un son perceptible uniquement par une personne située en un point précis (au sein d’une foule par exemple) sans recours à un casque – tout en garantissant une confidentialité totale.
Jusqu’à présent, il était pratiquement impossible de confiner un son dans un espace restreint en raison du phénomène de diffraction. Cette propriété physique inhérente aux ondes (de tout type) entraîne leur dispersion naturelle, rendant complexe la création de zones d’écoute isolées, en particulier pour les basses fréquences aux longueurs d’onde étendues.
Certains dispositifs, comme les haut-parleurs paramétriques, permettent déjà de diriger le son dans une direction spécifique. Toutefois, le signal reste audible sur toute la trajectoire de propagation. Des chercheurs de l’Université d’État de Pennsylvanie sont parvenus à contourner cette contrainte en développant une technologie ciblant un auditeur unique. L’innovation clé des « enclaves sonores » réside dans leur capacité à rendre le son perceptible uniquement à l’intersection de deux faisceaux ultrasonores.
Sous la direction du professeur Yun Jing, spécialiste en acoustique au Penn State College of Engineering, l’équipe a exploité les propriétés particulières des ultrasons – des ondes sonores dont la fréquence dépasse 20 kHz, au-delà du seuil d’audition humaine.
« Nous utilisons deux transducteurs à ultrasons couplés à une métasurface acoustique. Ces dispositifs émettent des faisceaux auto-incurvés qui se croisent en un point précis », explique le professeur Jing dans un communiqué. « Seule la personne se tenant à cet endroit peut entendre le son. Toute autre personne à proximité reste en dehors de cette bulle auditive, créant ainsi une véritable barrière d’intimité acoustique ».
Des métasurfaces acoustiques imprimées en 3D
Pour concevoir cette technologie, les chercheurs ont utilisé des transducteurs ultrasonores associés à des métasurfaces acoustiques – des structures intégrant des microarchitectures millimétriques ou submillimétriques qui permettent un contrôle précis de la direction des ondes sonores. Imprimées en 3D par Xiaoxing Xia, chercheur au Laboratoire Lawrence Livermore et co-auteur de l’étude, ces métasurfaces génèrent des faisceaux ultrasonores auto-courbés.
Le principe repose sur l’acoustique non linéaire. Contrairement aux ondes sonores classiques, qui s’additionnent de façon proportionnelle, les ondes ultrasonores de forte intensité interagissent de manière non linéaire, produisant de nouvelles fréquences au point d’intersection des faisceaux. Ce phénomène permet ainsi de convertir deux signaux inaudibles en un son distinct, perceptible uniquement à leur point de rencontre.
Pour valider leur dispositif, les chercheurs ont mené une série d’expériences. « Nous avons utilisé un mannequin reproduisant la tête et le torse humains, équipé de microphones intégrés aux oreilles, afin de simuler ce qu’un individu entendrait à différents points du faisceau ultrasonore », précise Jia-Xin Zhong, chercheur postdoctoral en acoustique à l’Université d’État de Pennsylvanie. Un troisième microphone a également été utilisé pour cartographier la zone d’intersection.
Les enclaves sonores se créent à l’intersection de deux faisceaux ultrasonores. © Jia-Xin Zhong et al./PNAS
Les résultats, publiés dans la revue PNAS, confirment que le son est confiné au point d’intersection des faisceaux, formant ainsi une enclave auditive bien délimitée. De plus, l’efficacité du système a été démontrée même dans un environnement réverbérant ou en présence d’obstacles tels que des meubles ou des personnes, les ondes ultrasonores parvenant à contourner ces éléments.
Des applications multiples
Les perspectives offertes par cette technologie sont vastes. Dans les lieux publics – cinémas, musées, salles de conférence –, les enclaves sonores pourraient permettre la diffusion de contenus personnalisés sans perturber l’environnement sonore ambiant. Dans le domaine de la sécurité, elles pourraient servir à transmettre des informations confidentielles à des individus précis, sans risque d’interception.
Cette avancée intéresse également l’industrie du divertissement : appliquée aux jeux vidéo, elle promet une immersion sonore inédite, sans nécessiter d’écouteurs. « On peut voir cela comme un casque virtuel, ne nécessitant aucun dispositif physique », souligne Zhong, évoquant une alternative idéale pour ceux qui n’apprécient pas ou ne tolèrent pas les écouteurs ou casques traditionnels.
Malgré ces avancées prometteuses, certaines limitations demeurent. Pour l’heure, la transmission sonore ne fonctionne que sur une distance maximale d’un mètre, avec une intensité plafonnée à 60 décibels – soit le volume d’une conversation normale.
Cependant, les chercheurs poursuivent leurs travaux pour améliorer la portée et l’intensité du signal en optimisant les ondes ultrasonores. Ils explorent également la conception de systèmes portables ou mobiles, afin d’offrir des enclaves sonores plus flexibles et adaptables à diverses situations.