En août 2024, l’île de La Réunion a été confrontée à une résurgence du chikungunya, contraignant les autorités sanitaires à déclencher l’alerte. À ce jour, 13 594 cas ont été répertoriés et deux premiers décès ont été enregistrés la semaine dernière. Si cette infection virale transmise par le moustique tigre suscite une vive inquiétude, le paludisme, véhiculé par le redoutable Anopheles gambiae, demeure bien plus meurtrier. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 263 millions de cas ont été recensés en 2023, provoquant 597 000 décès à l’échelle mondiale. Une récente étude propose une nouvelle approche pour enrayer cette maladie parasitaire : l’usage de la nitisinone, un médicament susceptible de rendre le sang humain mortellement toxique pour les moustiques. Cette stratégie pourrait constituer une alternative aux insecticides, potentiellement moins nocive pour l’environnement.
Le paludisme, ou malaria, est provoqué par un parasite du genre Plasmodium. Celui-ci s’installe d’abord dans le foie avant de s’attaquer aux globules rouges, qu’il finit par détruire, perturbant la circulation sanguine. Dans ses formes les plus graves, la maladie peut entraîner des complications neurologiques sévères, à l’image du neuropaludisme, potentiellement mortel lorsque le cerveau est atteint. La transmission se produit lorsqu’un moustique femelle anophèle infecté pique un humain.
La lutte contre cette pathologie repose en grande partie sur le contrôle des vecteurs, notamment par le recours aux insecticides. Bien que très efficaces, ces substances chimiques soulèvent de sérieuses préoccupations : perturbation des écosystèmes, effets délétères sur la biodiversité et émergence de résistances chez les insectes, compromettant à terme leur efficacité.
Face à ces limites, la communauté scientifique explore d’autres voies. L’ivermectine, un antiparasitaire largement utilisé en médecine humaine et vétérinaire, a déjà démontré sa capacité à réduire la transmission du paludisme en ciblant les moustiques. Mais son usage massif fait craindre l’apparition de résistances du parasite et suscite des interrogations quant à ses effets environnementaux.
C’est dans cette perspective qu’une équipe dirigée par Lee R. Haines, professeur de sciences biologiques à l’Université de Notre Dame, s’est tournée vers les endectocides, des médicaments capables de tuer les parasites hématophages. Parmi eux, la nitisinone, déjà homologuée pour le traitement de certaines maladies métaboliques rares, pourrait bien constituer une nouvelle arme dans la lutte antipaludique.
Initialement prescrite contre l’alcaptonurie et la tyrosinémie de type 1 – deux affections génétiques affectant le métabolisme de la tyrosine, la nitisinone agit en inhibant une enzyme clé : la 4-hydroxyphénylpyruvate dioxygénase (HPPD), essentielle à la dégradation de la tyrosine.
Cependant, chez les moustiques qui s’alimentent de sang contenant ce composé, le processus métabolique est gravement perturbé, entraînant leur mort. Selon les auteurs de l’étude, publiée dans la revue Science Translational Medicine, cette méthode ciblée pourrait diminuer l’utilisation des insecticides et réduire l’impact sur l’environnement.
Des résultats encourageants en laboratoire
« Une façon d’enrayer la propagation des maladies transmises par les insectes est de rendre le sang des animaux et des humains toxique pour ces insectes hématophages », explique Haines dans un communiqué. « Nos résultats suggèrent que la nitisinone pourrait constituer un nouvel outil complémentaire prometteur pour lutter contre les maladies vectorielles comme le paludisme », ajoute-t-il.
Afin d’évaluer l’efficacité de la nitisinone, les chercheurs ont mené une série d’expériences comparatives avec l’ivermectine. « Nous avons estimé que si nous voulions poursuivre cette piste, la nitisinone devait surpasser l’ivermectine », souligne Álvaro Acosta Serrano, professeur en sciences biologiques à l’Université de Notre Dame et co-auteur de l’étude.
Les tests ont été réalisés en collaboration avec le Centre national de l’alcaptonurie du Royal Liverpool University Hospital. Quatre patients traités à la nitisinone ont vu leur sang prélevé, puis administré à des femelles Anopheles gambiae en laboratoire. Les scientifiques ont ensuite eu recours à des modèles mathématiques pour simuler les effets de ce traitement à grande échelle sur des populations humaines.
Les conclusions sont sans équivoque : la nitisinone reste active plus longtemps dans le sang que l’ivermectine, et tue les moustiques adultes, y compris les plus âgés, qui sont les plus susceptibles de transmettre le paludisme. Encore plus prometteur, cette substance s’avère efficace contre les moustiques résistants aux insecticides classiques.
Une alternative efficace aux insecticides classiques ?
Les insectes ayant ingéré du sang contenant de la nitisinone présentent d’abord des signes de faiblesse, perdent leur capacité à voler, avant de succomber à une paralysie complète. Forts de ces résultats, les chercheurs envisagent une alternance stratégique entre nitisinone et ivermectine afin d’optimiser la lutte contre le paludisme. « À l’avenir, il pourrait être judicieux d’alterner entre ces deux molécules pour améliorer notre arsenal contre les moustiques », suggère Haines.
Toutefois, malgré ces données encourageantes, la généralisation de cette stratégie devra attendre des essais complémentaires. Il reste en effet à déterminer les dosages optimaux et à évaluer les effets secondaires potentiels sur l’environnement et la santé humaine. Les chercheurs ambitionnent désormais de tester la nitisinone en conditions réelles afin d’en mesurer l’impact sur le terrain.