Découverte majeure : les bonobos combinent leurs cris comme une forme de langage

Une étude révèle que leurs cris sont parfois agencés comme des mots, remettant en question l’unicité du langage humain.

Les bonobos communiquent en phrases suggère une étude
Tupac, un jeune mâle bonobo. | Lukas Bierhoff
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La richesse du langage humain réside dans notre capacité à aborder une infinité de sujets et à inventer des phrases, en les structurant de manière complexe pour exprimer des idées, même abstraites. Cette faculté, attribuée à la « compositionnalité », était jusqu’à présent perçue comme exclusive à l’espèce humaine. Cependant, une nouvelle étude apporte un éclairage original : les bonobos pourraient bien partager avec l’Homme certaines des clés de cette complexité, à travers la manière dont ils combinent leurs cris.

Les bonobos (Pan paniscus), dont l’ADN est identique à 98,7 % à celui de l’espèce humaine, constituent des sujets d’étude de choix pour explorer les racines de nos facultés cognitives. C’est dans cette perspective qu’une équipe internationale de chercheurs, rassemblant des spécialistes des universités de Zurich et Harvard, a conduit une étude originale. Leurs travaux révèlent que ces chimpanzés nains utilisent une forme de communication vocale présentant certaines des propriétés fondamentales du langage humain.

La compositionnalité : la clé du langage

La compositionnalité, cette capacité à combiner des unités de sens pour former des expressions plus complexes, était encore récemment considérée comme un privilège réservé à l’espèce humaine. Les linguistes en distinguent deux formes : une version dite simple, où les éléments s’ajoutent les uns aux autres, et une version plus sophistiquée où un élément en modifie un autre.

Des études antérieures avaient déjà mis en lumière que certains primates et oiseaux maîtrisent une forme « triviale » de compositionnalité. Mais l’équipe dirigée par Mélissa Berthet, chercheuse postdoctorale au département d’anthropologie évolutive de l’Université de Zurich (UZH) et auteure principale de l’étude, aux côtés de Simon Townsend, professeur à l’UZH et co-auteur de la nouvelle étude, a franchi un cap en démontrant que les bonobos recourent également à des formes complexes, dites non triviales, de compositionnalité.

Pour arriver à cette conclusion, les chercheurs ont mené leurs observations sur des bonobos vivant à l’état sauvage dans la réserve communautaire de Kokolopori, en République démocratique du Congo.

Un dictionnaire bonobo inédit

Comprendre la compositionnalité dans la communication animale s’est longtemps heurté à une difficulté majeure : il est délicat d’attribuer une signification précise aux cris isolés ou combinés émis par les animaux, puisque l’accès direct à leur cognition demeure hors de portée.

Pour contourner cet obstacle, l’équipe de recherche a mis au point une approche méthodologique inédite visant à décrypter les vocalisations des bonobos. Dans leur étude, publiée dans la revue Science, les auteurs expliquent que leur démarche repose sur une analyse minutieuse des contextes d’émission de chaque son, en tenant compte de plus de 300 variables comportementales et situationnelles.

Ils ont ainsi consigné à la fois des facteurs externes (comme la présence d’autres bonobos) et des éléments relatifs au comportement de l’émetteur (alimentation, déplacement, repos), ainsi que les réactions observées après l’émission du cri. « Cela nous a permis de créer une sorte de dictionnaire des bonobos — une liste complète des cris des bonobos et de leur signification », explique, dans un communiqué Mélissa Berthet. « C’est la première fois que nous avons déterminé la signification des cris dans l’ensemble du répertoire vocal d’un animal », ajoute-t-elle.

Des combinaisons vocales complexes

La seconde phase de l’étude a consisté à évaluer si les combinaisons de cris observées chez les bonobos obéissent aux principes de la compositionnalité. Pour ce faire, les chercheurs ont adopté une approche linguistique novatrice.

Selon l’équipe, une combinaison vocale peut être considérée comme compositionnelle si trois critères sont remplis : d’abord, chaque élément de la combinaison possède une signification propre ; ensuite, la combinaison produit un sens différent de la somme de ses parties ; enfin, ce sens global peut être logiquement dérivé des éléments individuels.

En utilisant la sémantique distributionnelle, une méthode issue des sciences du langage, Berthet et ses collègues ont cartographié les cris, qu’ils soient émis seuls ou en combinaison, en les positionnant dans un espace sémantique défini à partir de leurs contextes d’utilisation. « Grâce à notre approche, nous avons pu quantifier la manière dont la signification des cris individuels et des combinaisons de cris des bonobos est liée les uns aux autres », précise Townsend.

Les résultats de cette modélisation révèlent que de nombreuses combinaisons vocales produites par les bonobos présentent les caractéristiques essentielles de la compositionnalité. Certaines de ces structures évoquent même, par leur complexité, des formes non triviales de composition linguistique humaine. Cette complexité est toutefois inférée à partir de leur contexte d’utilisation, et ne relève pas d’une syntaxe formelle comparable à celle du langage humain.

Des implications évolutives intéressantes

Ces découvertes remettent en question certains fondements de notre compréhension de l’origine du langage. « Les humains et les bonobos ayant un ancêtre commun il y a environ 7 à 13 millions d’années, ils partagent de nombreux traits hérités par filiation, et il semble que la compositionnalité soit probablement l’un d’entre eux », avance Martin Surbeck, professeur à Harvard et co-auteur de l’étude.

Ces conclusions suggèrent que la capacité à combiner des éléments porteurs de sens était peut-être déjà présente chez cet ancêtre commun, il y a au moins 7 millions d’années, bien avant l’émergence du langage humain tel que nous le connaissons. « Notre étude suggère donc que nos ancêtres faisaient peut-être déjà usage de formes de compositionnalité il y a au moins 7 millions d’années, si ce n’est plus », conclut Townsend.

Ce travail s’inscrit dans la continuité des recherches pionnières de la docteure Sue Savage-Rumbaugh, qui avait démontré chez le bonobo Kanzi une remarquable aptitude à comprendre plusieurs milliers de mots anglais et à communiquer à l’aide de lexigrammes. Plus récemment, une étude de l’Université Johns Hopkins a mis en évidence que les bonobos possèdent une forme de théorie de l’esprit, cette capacité à inférer les connaissances ou l’ignorance d’autrui, longtemps considérée comme une exclusivité humaine.

Source : Science

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