Un groupe de physiciens a réalisé une avancée théorique inédite en confinant des « états liés dans le continuum » au sein d’un résonateur unique. Ce phénomène, longtemps jugé irréalisable, pourrait considérablement améliorer certaines technologies de communication et de détection. Contrairement aux résonateurs classiques, où l’énergie finit par se dissiper, cette nouvelle approche permet de maintenir les ondes de manière continue, sans perte.
La résonance – ou amplification des ondes à des fréquences précises – constitue un pilier technologique, qu’il s’agisse de téléphonie mobile, de radiocommunications ou d’imagerie ultrasonore. Toutefois, les dispositifs actuels souffrent d’une dissipation inévitable de l’énergie, exigeant un apport énergétique constant pour maintenir leur fonctionnement.
En 1929, le mathématicien John von Neumann et le physicien Eugene Wigner avaient formulé une hypothèse audacieuse : dans certaines conditions, des ondes pourraient être confinées indéfiniment sans perte énergétique. Baptisés « états liés dans le continuum (BIC) », ces états peuvent être comparés à des tourbillons perpétuels, capables de résister aux perturbations environnantes. Bien que d’abord envisagé dans le cadre des systèmes quantiques, le concept a été élargi à l’ensemble des fonctions d’onde.
Les BIC fascinent la communauté scientifique en raison de leur nature non radiative, qui ouvre de nouvelles perspectives d’application. Contrairement à une formulation erronée souvent attribuée à la « loi de Planck », c’est en réalité la théorie du rayonnement du corps noir qui décrit le fait que tout corps émet un rayonnement électromagnétique, entraînant une perte d’énergie thermique. Les BIC constitueraient à cet égard une exception remarquable. Ce phénomène trouve déjà des applications prometteuses dans des domaines tels que les points quantiques, la photonique ou l’hydrodynamique.
Jusqu’à récemment, la communauté scientifique estimait néanmoins que les BIC ne pouvaient émerger que dans des structures complexes, composées de multiples résonateurs. Une équipe de chercheurs coréens – issus de l’Université des sciences et technologies de Pohang (POSTECH) et de l’Université nationale de Jeonbuk – vient bousculer ce postulat en démontrant, pour la première fois, le confinement intégral d’ondes mécaniques au sein d’un résonateur unique.
« Nous démontrons théoriquement et expérimentalement l’existence d’états liés dans le continuum – protégés par la polarisation – entièrement localisés dans des résonateurs solides compacts », précisent les auteurs dans leur étude, publiée dans la revue Physical Review Letters.
Un facteur de qualité supérieur à 1000
Pour parvenir à ce résultat, les chercheurs ont conçu un système granulaire, composé de tiges cylindriques en quartz interagissant par simple contact. En contrôlant avec précision la manière dont ces cylindres s’imbriquent, ils ont développé une plateforme mécanique hautement modulable, capable d’ajuster l’interaction des ondes mécaniques à leurs points de contact. « La force de couplage entre le vecteur d’onde aux frontières du résonateur et les modes de résonance internes peut être ajustée en modifiant le décalage de contact », précisent-ils.
Cette souplesse de configuration permet de générer des BIC dans un résonateur de dimensions finies, mis en mouvement exclusivement par rotation. En alignant les éléments de manière spécifique, les chercheurs ont réussi à confiner une onde dans un seul cylindre, sans qu’aucune fuite d’énergie ne se produise dans la structure alentour. Les mesures expérimentales ont confirmé cette performance, avec des facteurs de qualité (ou « facteurs Q ») supérieurs à 1000 – un indicateur de la capacité d’un résonateur à conserver l’énergie avec des pertes minimales.
Bien que l’onde soit confinée dans un seul cylindre, les chercheurs ont démontré qu’en reliant plusieurs de ces résonateurs en chaîne, il est possible de faire apparaître une extension collective de ces états. « Ces états peuvent s’étendre sous forme de bandes localisées dans des structures périodiques composées de tels résonateurs », notent les auteurs. Cette configuration permet aux ondes de se propager le long de la chaîne sans se disperser, selon un phénomène désigné sous le nom de « bande plate ».
« C’est comme jeter une pierre dans un étang parfaitement calme et voir les ondulations demeurer immobiles, vibrant seulement sur place », illustre Yeongtae Jang, auteur principal de l’étude, dans un communiqué publié par POSTECH. « Le système permet le mouvement des ondes, mais l’énergie ne se diffuse pas : elle demeure parfaitement confinée », insiste-t-il.
Bien qu’encore au stade exploratoire, cette avancée pourrait ouvrir la voie à des dispositifs de contrôle des ondes d’une efficacité accrue, applicables notamment au stockage d’énergie, aux capteurs très sensibles, ou encore aux technologies de communication quantique de nouvelle génération.