Grâce à un matériau novateur à base de tellurure de manganèse-bismuth, des chercheurs ont réussi à détecter des quasiparticules présentant des propriétés analogues à celles des axions, ces hypothétiques particules qui comptent parmi les candidats possibles pour constituer la matière noire. Il s’agit là d’une observation directe inédite de ces quasiparticules, qui pourraient à terme servir de relais pour détecter les véritables axions et, potentiellement, confirmer l’existence de cette composante invisible de l’Univers.
Malgré des indices cosmologiques concordants, la matière noire demeure l’un des grands mystères irrésolus de la physique contemporaine. De nombreuses théories ont été avancées pour en percer la nature et retracer sa formation. La théorie des cordes, notamment, postule qu’elle évoluerait dans des dimensions inaccessibles à notre perception, ce qui pourrait expliquer son absence de détection directe.
D’autres hypothèses évoquent une composition faite de particules exotiques, parmi lesquelles l’axion. Théorisée comme ultra-légère, stable et faiblement interactive avec la matière ordinaire, cette particule s’impose comme une candidate sérieuse pour expliquer la matière noire. Des dispositifs expérimentaux, tels que le CERN Solar Axion Telescope (CAST) et l’Optical Search of QED vacuum magnetic birefringence Axion and photon Regeneration (OSQAR), tous deux menés au CERN, ont été déployés pour tenter de les détecter.
Jusqu’à présent, aucun axion n’a été observé. En 2010, des physiciens ont alors proposé une nouvelle stratégie : détecter des quasiparticules axioniques. Ces entités, bien qu’elles ne soient pas de véritables particules, permettent de modéliser des excitations fondamentales dans les solides.
« Les quasiparticules axioniques sont des analogues expérimentaux des axions ; elles pourraient, à terme, permettre de détecter les véritables particules », explique au Harvard Gazette Suyang Xu, professeur adjoint de chimie à l’université Harvard. Son équipe a mis au point une technique inédite pour capter directement leurs manifestations. « Si un axion issu de la matière noire entre en contact avec notre matériau, il exciterait une quasiparticule ; en détectant cette excitation, nous pourrions attester de sa présence », précise-t-il.
Une imitation quasi parfaite des axions
Les chercheurs ont mené leur expérience en utilisant de fines couches de tellurure de manganèse-bismuth, un matériau aux propriétés électroniques et magnétiques remarquables. Dans ce composé, les champs électriques et magnétiques sont intimement liés : l’application d’un champ magnétique induit une magnétisation. Si cette interaction évolue dans le temps selon un motif oscillatoire précis, une quasiparticule axionique peut théoriquement émerger. Ce comportement fait écho à celui des axions, qui, dans un champ magnétique intense, peuvent être convertis en photons via l’effet Primakoff.
Afin d’élaborer une plateforme suffisamment stable pour générer ces quasiparticules, l’équipe a mis au point une structure cristalline bidimensionnelle. Ce travail de précision a nécessité une nanofabrication méticuleuse, stratifiant les couches de matériau de façon à en optimiser les propriétés quantiques. « Nous explorons ce type de matériau complexe depuis près de six ans. C’est une plateforme à la fois fascinante et extrêmement délicate à manipuler », détaille Jian Xiang Qiu, auteur principal de l’étude, publiée dans la revue Nature. « Comme le matériau est sensible à l’air, nous avons dû l’exfolier jusqu’à quelques couches atomiques pour en tirer le meilleur », ajoute-t-il.
L’expérience a mobilisé une technique d’optique laser ultrarapide pour générer des magnons — des quasiparticules correspondant à des ondes de spin, autrement dit des excitations collectives modifiant la magnétisation d’un matériau. Un second laser a permis de mesurer cette magnétisation et de suivre l’oscillation temporelle de l’interaction entre les champs magnétiques et électriques.
Les chercheurs ont ainsi confirmé la détection de quasiparticules d’axion. Leurs propriétés correspondent presque parfaitement aux comportements attendus pour les véritables axions. Jusqu’ici, certains signaux évoquant la présence de ces quasiparticules avaient été perçus dans d’autres matériaux, mais de façon indirecte.
La plateforme à base de tellurure de manganèse-bismuth pourrait en outre devenir un outil de détection directe des axions. Si ces derniers pénètrent le champ magnétique entourant le matériau, ils pourraient être convertis en photons, lesquels interagiraient ensuite avec les quasiparticules d’axion. Cette interaction pourrait amplifier un signal photonique normalement trop faible pour être détecté, offrant ainsi une signature tangible des axions.
Les chercheurs comparent leur dispositif à une « autoradio cosmique », qui pourrait devenir le détecteur de matière noire le plus précis conçu à ce jour. Le moment est d’autant plus opportun que les publications scientifiques sur les axions se multiplient, à l’instar de celles sur le boson de Higgs peu avant sa mise en évidence en 2012. « Des expériences menées dès 1983 suggéraient une fréquence associée aux axions ; nous savons aujourd’hui qu’elle peut être captée. Nous nous rapprochons de la détection directe — et ce, rapidement », souligne David Marsh, co-auteur de l’étude et maître de conférences au King’s College de Londres.
Au-delà de la recherche fondamentale, cette interaction lumière-matière pourrait ouvrir la voie à des innovations en technologies optiques. Prochaine étape pour l’équipe : explorer plus avant les propriétés de ces quasiparticules et affiner encore leur protocole expérimental.