Des chercheurs chinois sont, pour la première fois, parvenus à cultiver de minuscules cœurs humains à l’intérieur d’embryons de porc. Les cellules humaines ont été implantées dans les embryons au stade morula, et les hybrides porc-humain ont survécu pendant 21 jours, moment où les cœurs ont commencé à battre. Ce type d’implant pourrait à terme constituer une alternative aux dons d’organes, un secteur en proie depuis des années à une grave pénurie.
La pénurie de donneurs pour la transplantation d’organes constitue un défi clinique de longue date. La demande excède largement l’offre : d’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS), moins de 10 % des besoins mondiaux en transplantation sont actuellement satisfaits. Et même lorsqu’un donneur compatible est identifié, l’opération doit être réalisée dans un délai très restreint — entre quatre et six heures pour un cœur — afin de préserver la viabilité de l’organe, ce qui représente un défi logistique majeur.
Les xénogreffes et les organes chimériques sont explorés pour surmonter ces limites et pallier la pénurie de donneurs. Le porc est depuis longtemps considéré comme une cible prometteuse dans le développement de ces approches, en raison de sa proximité physiologique avec l’humain, de la taille comparable de ses organes et de similarités dans le développement embryonnaire.
La xénotransplantation consiste à transplanter un organe d’un animal vers un autre, notamment chez l’humain. Des chercheurs ont, par exemple, récemment greffé des reins de porcs génétiquement modifiés chez le macaque et le babouin — des primates génétiquement proches de l’homme — avec des durées de viabilité atteignant respectivement trois mois et 136 jours. Un rein de porc modifié a également été transplanté chez des patients humains, de même qu’un cœur et un foie.
Le chimérisme consiste en revanche à faire croître des organes humains dans des embryons animaux. Cette méthode d’organogenèse interspécifique a déjà été mise en œuvre avec succès entre la souris et le rat, pour des organes tels que le pancréas, le thymus ou le rein. La technique est transposée à l’humain en créant des organes chimériques homme-animal par le biais de cultures de cellules humaines dans des embryons animaux.
Cependant, obtenir un degré élevé de chimérisme avec des espèces de mammifères autres que les rongeurs demeure extrêmement complexe. À l’occasion du congrès annuel de la Société internationale de recherche sur les cellules souches, tenu la semaine dernière à Hongkong, des chercheurs des Instituts de biomédecine et de santé de Guangzhou, rattachés à l’Académie chinoise des sciences, ont présenté leurs travaux portant sur la première culture de cœurs humains dans des embryons de porcs.
Un niveau de développement comparable à celui d’un cœur humain
Pour mener leur expérience, les chercheurs chinois ont utilisé des cellules souches pluripotentes humaines, capables de se différencier en cellules cardiaques. Afin d’optimiser leur survie dans le cadre de l’organogenèse interspécifique, ces cellules ont été génétiquement modifiées pour exprimer des gènes empêchant l’apoptose (mort cellulaire programmée) et stimulant leur croissance. Elles ont ensuite été injectées à des embryons de porc eux-mêmes modifiés afin de supprimer deux gènes clés dans le développement cardiaque porcin. Les cellules humaines ont été introduites au stade morula, un stade embryonnaire très précoce, caractérisé par la présence d’une douzaine de cellules. Les embryons hybrides ont ensuite été transférés chez des truies porteuses.
Les chercheurs ont constaté que les embryons ont continué à se développer jusqu’à trois semaines, après quoi ils ont cessé d’être viables. Durant cette période, les cellules humaines implantées s’étaient suffisamment différenciées pour donner naissance à de petits cœurs, d’une taille comparable à celle d’un doigt.
Ce stade de développement est équivalent à celui d’un cœur humain au même moment du processus embryonnaire. L’évolution des cellules humaines a été suivie à l’aide de biomarqueurs fluorescents. L’équipe a également observé que ces cœurs présentaient des battements.
Un optimisme prudent…
Toutefois, l’étude, encore en cours d’évaluation par les pairs, ne permet pas de déterminer avec précision la proportion de tissu cardiaque humain — autrement dit, le degré de chimérisme — effectivement obtenue. Une expérience antérieure, conduite par la même équipe et portant sur la culture de tissu rénal humain dans des embryons porcins, avait révélé que seuls 40 à 60 % des tissus obtenus étaient d’origine humaine.
Si les travaux ont été globalement bien accueillis par les chercheurs présents au congrès, certains ont exprimé des réserves. Hideki Masaki, de l’Institut des sciences de Tokyo, a notamment relevé que les cellules fluorescentes n’étaient visibles que dans une section limitée des cœurs formés, rapporte Euro Weekly News. Ce constat soulève des interrogations sur l’intégration effective des cellules humaines au sein des tissus porcins. Or, pour qu’un organe chimérique soit utilisable en transplantation, il doit être constitué en quasi-totalité de cellules humaines.
Au-delà des défis techniques, de nombreuses questions éthiques devront également être résolues avant toute application clinique de ce type de recherche. Néanmoins, l’approbation récente, par la Food and Drug Administration (FDA) américaine, d’un premier essai clinique de xénotransplantation de reins de porcs laisse entrevoir de potentielles avancées dans ce domaine. Cet essai sera mené par la société de biotechnologie United Therapeutics.