Le secret du sexe des ornithorynques enfin percé après 20 ans de mystère

Le gène déterminant leurs sexes s’apparenterait plus à celui de certains poissons et amphibiens qu'à celui des mammifères.

mystere sexe ornithorynque
| Douglas Gimesy/National Geographic
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Des biologistes ont identifié le mécanisme génétique déterminant le sexe chez les monotrèmes, le groupe de mammifères unique qui inclut les ornithorynques et les échidnés – un mystère vieux de près de deux décennies. Il serait déterminé par un seul gène hormonal situé sur le chromosome Y, une caractéristique notable, différente de celle observée chez les autres mammifères et plus proche de certains amphibiens et poissons.

Comprenant les ornithorynques (Ornithorhynchus anatinus) et quatre espèces d’échidnés, les monotrèmes constituent la plus ancienne lignée existante de mammifères. Ils ont divergé des mammifères thériens (les marsupiaux et les euthériens) il y a entre 160 et 190 millions d’années, et fascinent les biologistes par leurs caractéristiques uniques. Ils constituent, par exemple, les seuls mammifères ovipares : ils pondent des œufs au lieu de donner naissance à des petits complètement formés, mais les allaitent après la mise bas.

En particulier, l’échidné à bec court (Tachyglossus aculeatus) développe une poche temporaire pour incuber ses œufs. Après l’éclosion, les petits y restent pendant la première phase de leur développement. L’ornithorynque, quant à lui, est un mammifère semi-aquatique doté de pattes palmées, et les mâles disposent d’une glande venimeuse — une combinaison inhabituelle parmi les mammifères.

Chez la plupart des mammifères, y compris les humains, le sexe est déterminé par les chromosomes X et Y : un embryon doté d’une paire XX deviendra femelle, tandis qu’un embryon XY développera des caractéristiques mâles. Ce processus de différenciation sexuelle est orchestré par le gène SRY, localisé sur le chromosome Y.

En revanche, les monotrèmes se distinguent par un système de chromosomes sexuels multiples, comprenant notamment : cinq paires de chromosomes X chez les femelles et cinq paires de chromosomes X et Y chez les mâles. Ces chromosomes ont évolué indépendamment de ceux des thériens et sont dépourvus du gène de détermination du sexe SRY.

Les biologistes soupçonnaient que, privés du gène SRY, les monotrèmes devaient posséder une version spécifique leur permettant de déterminer leur sexe. « Les scientifiques supposaient que les chromosomes Y devaient toujours contenir un gène déterminant le sexe, mais on en savait très peu sur ce que cela pouvait être », expliquent, dans un article publié dans The Conversation, Linda Shearwin et Frank Grützner, chercheuse au Laboratoire de biologie comparative du génome et professeur à l’École des sciences biologiques de l’Université d’Adélaïde, respectivement.

Dans le cadre d’une récente étude, l’équipe de Shearwin et Grützner rapporte de nouvelles preuves indiquant que la détermination du sexe chez les monotrèmes est régie par un seul gène. « Ils n’utilisent pas la même boîte à outils génétique que les autres mammifères pour développer des embryons mâles et femelles », indiquent les deux experts.

Un gène ayant évolué il y a 100 millions d’années

L’identification des gènes candidats déterminant le sexe chez les monotrèmes a été difficile en raison de l’accès limité aux embryons, du manque de données sur le chromosome Y et des restrictions en matière de manipulation génétique. Cela est principalement dû au fait qu’ils sont non seulement endémiques d’Australie, mais que certains sont également en danger de disparition.

Néanmoins, d’importants progrès ont été réalisés au cours des dernières années grâce à la disponibilité de nouvelles informations génomiques et une amélioration significative de la reproduction en captivité. Pour la première fois depuis plus de 150 ans, les biologistes ont accédé à des échantillons de fœtus d’échidnés et de petits nidifiant dans les poches de leurs mères, ce qui a permis de suivre leur développement et de les « sexer » avec précision.

Le séquençage complet du génome de l’ornithorynque a été réalisé en 2008, mais comme il s’agissait d’une femelle, aucune information sur les chromosomes Y n’avait alors pu être obtenue. Le séquençage a été amélioré en 2021 grâce à l’analyse d’un individu mâle, et le premier séquençage du génome d’un échidné, incluant plusieurs chromosomes Y, a également été mené à bien. Cela a permis d’identifier un gène précurseur de la différenciation sexuelle chez ce groupe.

Il s’agit d’un gène codant pour l’hormone anti-muellerienne (AMH). Si ce gène est impliqué dans le développement sexuel chez de nombreux animaux, celui présent chez les monotrèmes semble spécifique et est situé directement au niveau du chromosome Y (AMHY), d’après les résultats de la nouvelle étude — publiée dans la revue Genome Biology.

D’après l’équipe, des changements dans le gène AMH des monotrèmes seraient survenus au début de leur évolution, il y a 100 millions d’années. Cela expliquerait son implication dans le développement sexuel chez les mâles et aurait ouvert la voie à l’apparition du nouveau système de chromosomes sexuels chez ce clade. D’autre part, bien que le gène AMHY ait considérablement changé par rapport au gène AMH habituel ; il aurait conservé ses caractéristiques essentielles.

genes ornithorynques
Analyse de la synténie et (présence simultanée sur le même chromosome de deux ou plusieurs loci) de la structure génique des gènes monotrèmes AMHX et AMHY . A. Synténie entre les gènes AMH du poulet et de l’homme et les gènes AMH du monotrème . B. Comparaison des gènes d’échidné flanquant AMHX/Y et le chromosome 28 du poulet. C. Organisation génique des gènes monotrèmes AMHX et AMHY comparée à celle de l’ AMH de l’homme, de la souris, du koala, du wallaby, du poulet, de l’alligator et de la grenouille . Chaque gène contient 5 exons traduits. CDS : séquence codante. © Linda Shearwin-Whyatt

Un gène hormonal proche de celui de certains poissons et amphibiens

En outre, contrairement aux gènes de détermination du sexe chez la plupart des mammifères — qui agissent directement sur l’ADN pour activer d’autres gènes — l’AMHY est une hormone. Autrement dit, il n’interagit pas directement avec l’ADN mais agit à la surface des cellules pour activer ou désactiver des gènes. Les analyses des chercheurs ont montré qu’il agit au niveau des bons tissus, au bon moment, pour enclencher le développement des testicules chez les embryons mâles.

Ce mécanisme a également été relevé chez plusieurs espèces de poissons et d’amphibiens. « Cependant, la présence d’AMHY chez les monotrèmes constituerait le premier exemple connu d’une hormone jouant un rôle déterminant dans la détermination du sexe chez les mammifères », expliquent les experts.

Ces observations comblent une importante lacune dans la compréhension de la biologie de ces mammifères atypiques et pourraient contribuer, à terme, aux efforts de conservation. La prochaine étape de la recherche consistera à déterminer si l’AMHY fonctionne différemment des autres protéines AMH connues. « Cela nous permettra d’approfondir nos connaissances fonctionnelles sur une voie de développement sexuel unique chez les mammifères », conclut Shearwin dans un communiqué de l’Université d’Adélaïde.

Source : Genome Biology
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