Les incendies de forêts dans les bassins versants laissent derrière eux des contaminants dans les cours d’eau même plusieurs années après, selon une étude à grande échelle menée aux États-Unis. Les contaminants comme le carbone organique, le phosphore et l’azote peuvent dégrader la qualité de l’eau jusqu’à huit ans après l’incendie. Ces données offrent un nouvel aperçu des impacts des feux de forêt et soulignent le besoin de meilleures stratégies de prévention.
Les bassins versants forestiers fournissent une grande partie de l’eau potable pour les villes et les industries situées à proximité. La qualité et la quantité de cette ressource sont régulées par les forêts, et peuvent donc être profondément altérées par les incendies. Des études ont montré que la turbidité, la saturation en sédiments et d’autres paramètres essentiels à la qualité de l’eau augmentent significativement après de tels événements.
Les sédiments contaminant l’eau deviennent plus abondants à la suite des incendies, en raison de la perte des racines qui les retiennent ou les filtrent naturellement, mais aussi à cause des cendres diffusées par les flammes. Les sols brûlés ont également tendance à devenir hydrofuges, ce qui accroît le ruissellement. Ce phénomène entraîne une hausse des concentrations en matière organique et en nutriments dans les cours d’eau, du fait des sédiments emportés par les eaux issues de ces sols dégradés.
Le rétablissement des conditions d’avant les incendies s’effectue généralement en quelques mois ou quelques années. Bien que les écosystèmes terrestres puissent retrouver leur apparence en quelques années, les effets hydrologiques persistent souvent bien plus longtemps. Les impacts sur les cours d’eau peuvent, dans certains cas, durer plusieurs décennies, notamment lorsque la couverture forestière ne parvient pas à se reconstituer.
L’ampleur exacte de ces impacts reste toutefois mal cernée, en raison du manque de données et de la grande variabilité entre les différents sites étudiés. Par ailleurs, les recherches antérieures portaient principalement sur des échelles réduites – au niveau des États ou des municipalités. Or, la fréquence et l’intensité des incendies s’accroissent à mesure que le climat se réchauffe. Il devient donc impératif de mieux cerner les tendances relatives à la qualité de l’eau afin d’orienter les politiques de prévention et d’adaptation.
Pour combler ces lacunes, des chercheurs de l’Université du Colorado à Boulder ont mené la première évaluation de grande envergure sur la qualité de l’eau après des incendies de forêt aux États-Unis. « Nous essayions d’examiner les tendances notables dans la qualité de l’eau après un incendie de forêt dans tout l’ouest des États-Unis, afin d’aider à éclairer les stratégies de gestion de l’eau en vue de se préparer aux effets des incendies de forêt », explique dans un communiqué Carli Brucker, auteure principale de l’étude – publiée dans la revue Communications Earth & Environment.
Des niveaux de sédiments 19 à 286 fois supérieurs après les incendies
L’équipe de la nouvelle étude a analysé plus de 100 000 échantillons d’eau, prélevés sur 545 sites de l’ouest des États-Unis, comprenant 245 bassins versants affectés par des incendies et 300 autres de configuration similaire, mais épargnés. Afin d’évaluer les impacts, les chercheurs ont conçu un modèle informatique permettant de suivre l’évolution des contaminants avant et après les incendies, en tenant compte des précipitations et des températures. La qualité de l’eau a été évaluée à travers les concentrations de carbone organique, d’azote, de phosphore, de sédiments et le niveau de turbidité.
« Les résultats ont été accablants », déclare Ben Livneh, coauteur de l’étude et professeur associé d’hydrologie à l’Université du Colorado à Boulder, dans un article publié dans The Conversation. « Au cours de la première année suivant un incendie, les concentrations de certains contaminants ont grimpé en flèche », précise-t-il.
Les données recueillies indiquent que les niveaux de sédiments et la turbidité étaient de 19 à 286 fois plus élevés qu’avant les incendies, dans les bassins touchés. Une telle charge sédimentaire peut compromettre le bon fonctionnement des systèmes de filtration des stations de traitement, nécessitant des interventions coûteuses.
Quant au carbone organique, à l’azote et au phosphore, leurs concentrations étaient de 3 à 103 fois supérieures aux niveaux observés avant les feux. « Ces résidus dissous de plantes et de sols brûlés sont particulièrement problématiques. Lorsqu’ils se mélangent au chlore utilisé pour désinfecter l’eau potable, ils peuvent former des substances chimiques nocives appelées sous-produits de désinfection, dont certains sont liés au cancer », alerte Livneh.
Un risque de prolifération d’algues toxiques
Fait notable, les impacts se prolongent dans le temps. Les pics les plus importants de phosphore, de nitrate, de carbone organique et de sédiments ont été enregistrés au cours des trois années suivant l’incendie, tandis que d’autres contaminants, comme l’azote, ont été détectés jusqu’à huit ans après. Ces nutriments, en agissant comme des engrais, favorisent la prolifération d’algues dans les réservoirs et les conduites de traitement de l’eau. Ces floraisons peuvent générer des toxines ou entraîner des odeurs désagréables.
« Notre étude souligne que les services publics ne peuvent pas se contenter de prévoir quelques mois difficiles après un incendie », observe l’expert. Toutefois, les effets varient d’un bassin versant à l’autre : un incendie à proximité immédiate des cours d’eau entraîne plus de contaminants que ceux survenant en amont. L’ampleur des impacts varie aussi selon la diversité des sols, de la végétation et des conditions climatiques, complexifiant d’autant les stratégies de prévention.
Néanmoins, malgré cette variabilité, ces résultats fournissent un aperçu plus précis des effets des feux de forêt sur l’approvisionnement en eau. « On ne peut pas financer l’amélioration de la résilience uniquement sur la base de préoccupations générales. Les gestionnaires de l’eau ont besoin de chiffres concrets pour planifier, et c’est ce que nous leur fournissons », conclut Brucker.