Ce champignon des tombes antiques redouté des archéologues pourrait aider à vaincre la leucémie

Il a alimenté les rumeurs de malédiction de la tombe de Toutânkhamon suite aux décès inexpliqués de plusieurs archéologues.

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| Pixabay
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En isolant des molécules d’Aspergillus flavus, un champignon toxique retrouvé dans les tombes antiques, des chercheurs ont découvert que certaines présentent de puissants effets anti-cancéreux. Lors d’expériences sur des cellules leucémiques, les composés ont montré une efficacité comparable à celle des médicaments approuvés par la Food and Drug Administration (FDA) américaine. Ces résultats suggèrent une nouvelle piste de recherche pour des médicaments d’origine fongique contre certains cancers.

Aspergillus flavus est un champignon (une moisissure) toxique à spores jaunes, connu depuis longtemps pour être nuisible. Il sécrète des toxines susceptibles de provoquer des infections pulmonaires potentiellement mortelles, en particulier chez les personnes immunodéprimées ou souffrant de maladies chroniques sous-jacentes. On le trouve presque partout dans les environnements, allant du sol aux matières organiques en décomposition, en passant par les caves et les tombeaux, ainsi que les céréales et les fruits secs mal conservés.

Il a été rendu célèbre à la suite d’une série de décès inexpliqués de plusieurs membres de l’équipe de fouille de la tombe de Toutânkhamon dans les années 1920. Cela a alimenté les rumeurs selon lesquelles il s’agissait d’une malédiction liée au célèbre pharaon. Mais plusieurs décennies plus tard, des médecins ont estimé que ces décès étaient probablement liés à une infection au champignon dont les spores seraient restées dormantes dans la tombe pendant des millénaires.

Il aurait aussi été impliqué dans les décès de 10 des 12 scientifiques ayant fouillé la tombe du roi polonais Casimir IV dans les années 1970. Des investigations ultérieures ont montré que la tombe contenait d’importantes quantités de spores d’A. flavus.

Cependant, malgré leur réputation, certains champignons ont de puissantes vertus médicinales. Dans le cadre d’une étude récemment publiée dans la revue Nature Chemical Biology, des chercheurs de l’Université de Pennsylvanie ont montré qu’A. flavus pourrait, lui aussi, constituer une source improbable de molécules thérapeutiques contre le cancer.

« Les champignons nous ont donné la pénicilline », explique Sherry Gao, professeure associée au Presidential Penn Compact de l’Université de Pennsylvanie et auteure principale de la nouvelle étude, dans un article de blog. « Ces résultats montrent qu’il reste encore beaucoup à découvrir pour des médicaments dérivés de produits naturels », affirme-t-elle.

Des effets prometteurs contre la leucémie

Les molécules identifiées par les chercheurs font partie d’une catégorie de peptides, appelés RiPP, synthétisés par les ribosomes des cellules et modifiés de manière post-traductionnelle. L’isolation de ces composés constitue un défi de longue date car les RiPP fongiques ont longtemps été confondus avec des peptides non ribosomiques. Si des milliers de RiPP bactériens ont été identifiés, seule une poignée a été isolée à ce jour chez les champignons.

Pour isoler les RiPP présentant les meilleurs potentiels, l’équipe de Gao a analysé une douzaine de souches d’Aspergillus précédemment identifiées pour être susceptibles d’en contenir. Les analyses ont montré ceux produits par A. flavus comme étant les plus prometteurs en matière de bioactivité. Les RiPP du champignon sont codés par une protéine spécifique, donc la désactivation annulait complètement leur sécrétion.

En isolant quatre RiPP différents d’A. flavus, les chercheurs ont constaté qu’ils présentaient une structure particulière faite d’anneaux imbriqués. Baptisées « aspérigimycines », les nouvelles molécules ont montré une activité anticancéreuse significative. Deux d’entre elles en particulier se sont montrées très efficaces contre les cellules de la leucémie.

Des analyses plus approfondies ont montré que les aspérigimycines perturbent le processus de division cellulaire en inhibant la formation de microtubules. Cela pourrait expliquer leurs effets anticancéreux, les cancers étant caractérisés par une prolifération cellulaire incontrôlable.

Une efficacité comparable à celle de médicaments approuvés

Dans une autre expérience, les chercheurs ont ajouté un lipide aux RiPP extraits d’A. flavus. Il s’agit de la gelée royale, une substance riche en nutriments produite par les abeilles pour nourrir exclusivement les larves et la reine. Résultat : la combinaison a montré une efficacité comparable à celle de la cytarabine et de la daunorubicine, deux médicaments approuvés par la FDA et utilisés depuis des décennies pour traiter la leucémie.

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L’ajout de lipides aux substances chimiques nouvellement découvertes leur a permis de pénétrer dans les cellules. © Gao Lab

Afin de déterminer la raison pour laquelle l’ajout de lipide a amélioré l’efficacité des molécules fongiques, les chercheurs ont activé et désactivé sélectivement un ensemble de gènes au niveau des cellules tumorales. L’un d’entre eux, appelé SLC46A3, s’est avéré essentiel pour permettre aux aspérigimycines de pénétrer en quantité suffisante à l’intérieur des cellules cancéreuses, notamment en régulant les substances entrant et sortant des lysosomes.

« Ce gène agit comme une passerelle », explique Qiuyue Nie, chercheuse post-doctorale au Département de génie chimique et biomoléculaire de l’Université de Pennsylvanie et coauteure principale de l’étude. « Il ne se contente pas de faciliter la pénétration de l’aspérigimycine dans les cellules, il pourrait aussi permettre à d’autres « peptides cycliques » de faire de même », ajoute-t-elle. Ces derniers sont connus pour leurs nombreuses propriétés médicinales, mais la plupart doivent être modifiés pour pouvoir pénétrer les cellules en quantités suffisantes.

À noter en outre que les aspérigimycines n’ont eu que peu ou pas d’effet sur les cellules du cancer du sein, du foie et des poumons, ainsi que sur les bactéries ou d’autres champignons. Cela suggère que leurs effets sont limités à certains types de cellules. Néanmoins, « savoir que les lipides peuvent affecter la façon dont ce gène transporte les substances chimiques dans les cellules nous donne un autre outil pour le développement de médicaments », affirme Nie.

Par ailleurs, les chercheurs ont identifié des groupes de gènes similaires à ceux codant pour les aspérigimycines chez d’autres champignons, ce qui suggère qu’il pourrait exister d’autres RiPPs fongiques au potentiel inexploré. La prochaine étape de la recherche consistera à tester les effets des aspérigimycines sur des modèles animaux pour peut-être déboucher sur des essais cliniques si les résultats sont concluants.

Source : Nature Chemical Biology
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