La protéine liée à Alzheimer trouvée en excès chez les nouveau-nés : et si elle n’était pas si toxique ?

Cela remet en question l'hypothèse de longue date sur la maladie et pourrait découler sur de nouveaux traitements.

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La protéine p-tau217, considérée comme un biomarqueur clé de la neurodégénérescence liée à Alzheimer, a été trouvée en concentrations étonnamment élevées chez des nouveau-nés en bonne santé, selon une récente étude. Cela suggère que, plutôt que d’être toxique, elle pourrait jouer un rôle dans le développement cérébral précoce. Ces résultats remettent en question l’hypothèse de longue date sur les mécanismes sous-tendant la maladie.

Dans sa forme normale, la protéine tau est essentielle à la stabilité des structures neuronales et à leur communication. Elle régule notamment les microtubules, la transmission axonale et la croissance des neurites, ces prolongements qui s’étendent du corps cellulaire. Pour reprendre l’analogie, elle est comparable à des poutres ou à des échafaudages soutenant la structure interne des cellules cérébrales.

Chacune de ses fonctions est modulée par des phosphorylations en des sites spécifiques. La dérégulation de cette phosphorylation — en particulier son excès (hyperphosphorylation) — est associée à son dysfonctionnement, l’une des caractéristiques majeures des maladies neurodégénératives. Pour la maladie d’Alzheimer, par exemple, une hyperphosphorylation entraîne la formation d’une variante toxique appelée « p-tau217 ».

Au lieu d’assurer ses fonctions habituelles, la p-tau217 s’accumule et s’agglutine à l’intérieur des neurones, altérant leur fonctionnement et provoquant leur mort. Ce processus peut également induire des gains de fonction délétères, favorisant l’enchevêtrement et l’agrégation en cascade de la protéine. La perte progressive de ces neurones est à l’origine des troubles de la mémoire et de la coordination caractéristiques de la maladie.

Cependant, si l’on a longtemps supposé que des taux élevés de p-tau217 étaient systématiquement nocifs, des études récentes ont révélé qu’elle est présente à des concentrations très élevées dans le cerveau fœtal, ce qui suggère une implication dans le développement cérébral. Cette association restait toutefois mal comprise.

Une nouvelle étude codirigée par l’Université de Göteborg, en Suède, vient renforcer cette hypothèse en mettant en évidence des différences marquées entre les concentrations de cette protéine dite toxique chez les nouveau-nés en bonne santé et chez les patients atteints de la maladie d’Alzheimer. « Cette découverte pourrait transformer notre compréhension du développement cérébral et de la maladie d’Alzheimer elle-même », écrit Rahul Sidhu, doctorant en neurosciences à l’Université de Sheffield (Angleterre), dans un article publié sur The Conversation, même s’il n’a pas pris part à cette recherche.

Des concentrations dépassant celles des patients Alzheimer

Parue dans la revue Brain Communications, l’étude multicentrique a inclus 462 participants : des nouveau-nés en bonne santé, des bébés prématurés, des patients souffrant d’Alzheimer et des témoins adultes sains de différents âges. Les chercheurs ont mesuré les taux plasmatiques de p-tau217 chez l’ensemble des participants.

Les concentrations plasmatiques de p-tau217 étaient significativement plus élevées chez les nouveau-nés que chez des individus de tout âge, surpassant même celles observées chez les patients atteintes de la maladie d’Alzheimer. Elles étaient inversement proportionnelles à l’âge gestationnel : plus la naissance était prématurée, plus les concentrations étaient élevées, alors même que les nourrissons étaient en parfaite santé.

Des analyses approfondies ont montré que ces taux chutaient rapidement au cours des premiers mois de vie pour se rapprocher de ceux des jeunes adultes en bonne santé. Plus tard, ils réaugmentaient chez les personnes âgées atteintes de la maladie d’Alzheimer, sans toutefois atteindre ceux observés chez les nouveau-nés.

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Résumé graphique de l »étude. © Fernando González-Ortiz et al.

Une implication dans le développement cérébral précoce ?

Ces données appuient l’hypothèse d’un rôle fonctionnel de la protéine tau phosphorylée (p-tau) dans le développement cérébral. « Ce schéma suggère que la protéine p-tau217 joue un rôle crucial dans le développement cérébral précoce, en particulier dans les régions contrôlant le mouvement et la sensation, qui mûrissent tôt dans la vie », souligne Sidhu.

Les résultats concordent également avec des observations antérieures de taux élevés de p-tau dans le cerveau fœtal en développement, corrélés à une activité accrue des microtubules pendant des périodes clés de plasticité cérébrale, favorisant ainsi un développement neuronal harmonieux.

Le cerveau des nouveau-nés : la clé pour contrôler la protéine toxique ?

Ces résultats interrogent par ailleurs la théorie dominante sur les mécanismes biomoléculaires de la maladie d’Alzheimer. L’hypothèse classique avance que la p-tau217 ne s’accumule qu’après l’agrégation de la protéine bêta-amyloïde, déclenchant ensuite une réaction en cascade menant à la formation accrue de p-tau.

Or, les cerveaux des nouveau-nés présentaient des taux élevés de p-tau sans accumulation de bêta-amyloïde. Selon Sidhu, cela laisse penser que les deux protéines pourraient suivre des trajectoires indépendantes et que d’autres mécanismes biologiques expliqueraient la toxicité observée chez les personnes âgées.

« Si la protéine p-tau217 est essentielle au développement normal du cerveau, un phénomène doit se produire plus tard dans la vie pour la rendre nocive », explique-t-il. « Comprendre ce qui déclenche ce basculement — de protecteur à destructeur — pourrait ouvrir la voie à de nouvelles stratégies de prévention ou de traitement de la maladie d’Alzheimer », suggère-t-il. En d’autres termes, le cerveau des nouveau-nés pourrait détenir la clé pour contrôler la protéine et prévenir sa toxicité.

Source : Brain Communications
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